Le Grand Retour
- Alinoë
- 22 mai 2015
- 5 min de lecture
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– Morg’han, va-t-en ! – Pas sans toi. Je préfère encore crever. – Dis pas n’importe quoi. – Sar’ah… – Si les Pères nous attrapent… – Je sais. – Alors, t’attends quoi ? – J’peux pas ! – Bien sûr que si ! Sauve-toi ! Yall’han ne pourra pas garder la Porte ouverte éternellement.
*
Morg’han, c’est moi. Sar’ah, ma soeur jumelle, mon homologue. Depuis mon exil forcé, il ne se passe pas un jour sans que je pense à elle. Je sais qu’elle est en vie, là-bas, sur notre planète d’origine. Sept ans se sont écoulés et je n’aspire qu’à une chose : retourner la chercher. Je n’ai jamais été très patient et, sans Yall’han, j’aurais probablement craqué depuis longtemps.
C’est Sar’ah le héros, pas moi. Je ne suis que le corps, les muscles. Elle, le cerveau, le coeur ; sensible et réfléchie, une Reine dans l’âme. On est un peu comme les deux faces d’une même pièce. Le Yin et le Yang. Difficile à expliquer.
Votre monde est tellement…différent. D’un rationalisme effarant. L’Imagination reléguée au second plan, tout ça au profit de votre belle technologie. Et ce besoin, presque maladif, de justifier l’injustifiable, d’expliquer l’inexplicable, au lieu d’accepter simplement qu’il y a des choses qui vous échappent.
Le notre n’est pas parfait, la perfection n’existe pas. Preuve en est, cet ignoble coup d’Etat. Si seulement nos parents avaient écoutés les prévisions de Thyrési’ah… Comment leur en vouloir ? Ils croyaient sincèrement en l’équité impartiale de notre société. Chaque être à sa place, selon ses prédispositions et non sa race. Aucun traitement de faveur, pas même pour la famille royale.
Sar’ah devait hériter du trône et moi, de la Garde. Rien d’anormal. Il n’y a qu’a voir notre âme. Notre Moi profond, si vous préférez. Le terme n’est pas idéal mais votre langage est si… pauvre. Impossible de trouver mieux.
Comment vous expliquer sans basculer dans un exposé théorique barbant ?
Pour faire simple, selon nos croyances, l’Univers se découpe en plusieurs plans dont les trois suivants : celui des Vivants, des Morts et des Esprits. C’est en accédant au dernier qu’on peut voir l’âme de chaque être vivant.
Dans la plupart des cas, la ressemblance entre le corps et l’âme est assez évidente. Pour Sar’ah et moi, c’est différent. En tant que métamorphe, notre enveloppe charnelle sert surtout de décorum. Elle est ce que l’on veut qu’elle soit, rien d’autre. Nous sommes nés pareils, des êtres lisses, asexués, sans aucun détail particulier. Notre prénom, comme notre genre, s’est imposé naturellement.
J’ai toujours protégé Sar’ah, ne me demandez pas pourquoi. Le destin a ses raisons que la raison ne connaît pas. Elle est la douceur, la sensibilité, la fragilité, la féminité incarnée. Je ne suis que rudesse, rigidité et force brute. Comment pourrais-je libérer un peuple entier ?
Je ne suis pas un héros, encore moins un sauveur. Tout ce que je veux, c’est retrouver ma soeur et venger les trop nombreux innocents qui ont trouvé la mort cette nuit-là. Nos parents, leur cours, les gardes et les serviteurs. Un véritable bain de sang.
Sept longues années à me fondre dans la masse grouillante de la Terre, à me faire passer pour ce que je ne suis pas. Mais tout cela, c’est terminé. Fini les faux semblants, fini la comédie. Je suis Morg’han, fils de Nol’han et Ary’ah, descendant direct de la Lignée des Rois. La Porte est ouverte, le jour du Grand Retour est enfin arrivé. Les Pères vont trembler, les murs du Palais s’ébranler. La vengeance n’a pas de prix et j’irai jusqu’au bout.
Je ne suis pas un héros, encore moins un sauveurs, juste un corps privé de son coeur.
*
– SAAAAR’AAAAH ! Reviens ! Je t’en prie !! – Morg’han, arrête. Il est trop tard. – La faute à qui ?! – On ne peut pas lutter contre la Destinée. Combien de fois te l’ai-je répété ? – Je l’emmerde, la Destinée ! – Morg’han ! Où est-ce que tu vas ? – Réparer tes conneries. – Tu ne peux pas changer ce qui est déjà arrivé ! – Ah oui ? Et qui m’en empêchera ? – Moi. – Ecarte-toi de mon chemin, Yall’han. – Tu frapperais un Aînés ? – Je frapperais n’importe qui, si ça peut la ramener. – Ta soeur n’aurait pas voulu ça. – Ma soeur est morte. – C’était SA volonté, ai au moins la décence de la respecter.
*
Morg’han, mon frère,
Pas un jour ne se passe sans que je pense à toi. J’ignore où tu te trouves et ce que tu deviens mais je sais que tu es en vie, quelque part. Je le sens jusqu’au plus profond de mon âme. Les Pères peuvent dire ce qu’ils veulent, le Grand Retour approche.
Le peuple prie, il croit en toi, presque autant que moi. Plus qu’un simple chef de Garde, tu es un Roi, certainement le plus grand d’Amaly’ah.
Tu as toujours eu plus de force que moi, et je ne parle pas que de ton Corps. Ton Esprit est plus solide que tu le penses. Tu sauras faire face, je n’en doute pas.
J’aurais tant aimé te voir, te serrer dans mes bras une dernière fois. Mais mon Corps, déjà trop faible, ne résistera pas un jour de plus aux assauts des Pères.
Ils te veulent, ils te cherchent. Tu connais leur ténacité aussi bien que moi. Ils finiront par remonter le fil de nos âmes si je n’agis pas…
Ils approchent, j’entends leurs pas.
Morg’han, mon frère, je t’en supplie, pardonne-moi.
*
– Siry’han ? – Je t’en prie, Yall’han, arrête avec tes Siry’han et tes courbettes. Je ne suis pas Roi, je ne le serai jamais. – Tu es le dernier descendant et… – Ca ne fait pas de moi le roi. – Bien sûr que si. – De quel droit, hein ? J’ai déserté pendant sept ans. – Et tu es revenu pour sauver ton peuple. – Le sauver, laisse-moi rire. – Eliminer les Pères, tu appelles ça comment ? – De la vengeance, tout simplement. – Vengeance ou pas, la foule te réclame. – La foule devra se passer de moi. – Te morfondre ne la ramènera pas. – Un roi a bien le droit de veiller ses morts ! – Evidemment, tu as tous les droits. – … – Sar’ah était ta soeur, ta moitié et je ne peux qu’imaginer ta douleur. Mais elle était aussi une souveraine, même enfermée entre ces quatre murs. Pourquoi refuser au peuple de partager ta peine et de lui rendre hommage à son tour ?
*
Je n’aurais jamais imaginé que Sar’ah quitterait ce monde avant moi. A dire vrai, j’ai toujours pensé – et je ne suis certainement pas le seul dans ce cas – que je serais le premier à rejoindre le jardin d’Ely’ah. Qui aurait pu s’y attendre, à part feu notre Grande Oracle Thyrési’ah ?
Sar’ah. Elle était faite pour gouverner, éduquée, préparée depuis son plus jeune âge. Naturellement douée pour la diplomatie, impartiale et d’une droiture incomparable. Mais tout cela, vous le savez aussi bien que moi.
Un homme m’a dit un jour – même plusieurs fois – qu’on ne peut lutter contre la Destinée. Quelles que soient nos tentatives pour nous en détourner, elle finit toujours par nous rattraper, le plus souvent où on ne l’attend pas. J’aimerais pouvoir vous dire qu’il avait tord…
Ces sept dernières années, des milliers d’innocents sont morts au nom de cette belle Destinée et, si je me tiens devant vous ce soir, ce n’est certainement pas pour vous l’imposer comme la divine volonté.
Mes ancêtres gouvernent, régissent vos existences depuis des millénaires et, pour être honnête, je doutes qu’ils en aient été plus dignes que les Pères. Le moment est venu pour vous, peuple d’Amaly’ah, de décider, en votre âme et conscience, qui prendra la tête de l’Etat. Quelque soit votre choix, je jure solennellement de m’y plier. Si vous voulez de moi, je ne me déroberai pas.
Je suis Morg’han Nol’han’tsen Ary’ah’tsan, dernier descendant de la Lignée des Rois. Je ne prétends pas être un héros, encore moins un sauveur ; je ne suis qu’un chef de Garde, un guerrier à qui la Destinée vient d’arracher le coeur.
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