L’écume de l’aube (2)
- Alinoë
- 8 mars 2014
- 13 min de lecture
Alice ! Attends, j’arrive. Ne bouge pas !
J..J’suis où ? Vous êtes qui ?
Sur la plage ; Henri ; tu devrais rester allongée. Je suis là ; ça va aller.
Henri ?! Henri qui ? J’vous connais pas ! Et puis, qu’est c’que j’fous là ? J’étais…enfin… l’eau…tout ça… vous ?
Tu… Oui… Désolée. Je… J’aurais peut-être pas dû…
Pourquoi ? On s’connait même pas…
Parle pour toi… Qu’est-ce que tu fais ? Tu devrais pas te lever… Qu’est-ce que je disais.
Oh, ça va ! La ramène pas trop, monsieur l’super héros ! Tu m’as toujours pas dis ce que tu foutais là ?!
La même chose que toi, avec vingt ans d’écart…
Hin. Genre. Tu vas m’sortir qu’t’es un fantôme, un truc du style…
J’étais… un truc du style… Mais on devrait peut-être rentrer, pour parler de ça ; histoire d’éviter la pneumonie. Oui, je sais, y en a là-dedans ! Allez, viens… J’te ramène.
Mh. J’croyais que j’devais pas bouger ?!
T’as le droit de prendre appui sur moi, tu sais. Personne ne te force à tout faire toute seule… Oh, c’est bon. Je ne vais pas te manger ?!
J’ai aucune preuve…
Effectivement ; juste ma parole…
Déjà qu’t’essaie d’me faire gober des histoires de fantômes…
Ce ne sont pas des histoires, encore moins de fantômes.
C’est pas c’que j’ai compris…
Oui et bien, tu as mal compris. Je ne suis pas un fantôme. T’as qu’à me pincer, tu verras… Aouch ! Tu étais obligée d’y aller aussi fort ?
Oui. Ca aurait été beaucoup moins drôle, sinon…
Drôle pour toi… Ceci dit, tu vois, j’suis pas un fantôme.
Ouais, de toute façon j’y crois pas… T’es sensé être quoi, alors ?
Laisse tomber. Tu refuserais de me croire, de toute manière. Tu ne préférerais pas qu’on rentre ? Je commence sérieusement à me les geler !
Tu sais qu’sur l’autoroute, ça sera encore pire…
Mouais… T’as une meilleure idée ? Vu ton sourire, je dirais que oui… Soit. Dis-moi ?
Commence par répondre à ma question.
J’peux pas…
Pourquoi ?
Je ne voudrais pas que tu me prennes pour un fou ; pas tout de suite, en tous les cas.
Trop tard… Fais pas cette tête-là. C’t’un compliment, v’nant d’ma part. Quoi ? C’est vrai. Le seul crime d’un fou c’est de n’pas être comprit par les autres êtres vivants… Ok, y en a certains qui sont carrément dangereux… Soit. C’était un compliment.
Si tu le dis… Alors, c’est quoi ton plan ?
T’espère quand-même pas t’en tirer comme ça ?
En fait, si. Je l’espérais… Apparemment, c’est loin d’être concluant. Qu’est-ce que tu veux savoir ?
Tout. A commencé par qui tu es et puis, la raison d’ta présence ici ; une vrai cette fois, pas un machin digne d’un blockbuster américain.
Ha. C’est vaste, ça. Tu voudrais pas qu’on se trouve un endroit chaud et sec pour discuter ? Bien. Comme tu veux. Qui je suis ? Henri, comme je te l’ai déjà dit. La raison de ma présence ici ? Ha. S’il n’y en avait qu’une… La question serait plutôt de savoir qu’est-ce qui ne m’y a pas mené. Tout, de ma naissance à ma mort ainsi que le reste de mon existence ; tout est raison à ma présence ici ; cette nuit. Tu veux connaître la plus importante ? C’est toi. Je sais que ça peut sembler stupide ; pourtant c’est la stricte vérité. Ne me regarde pas avec ces yeux-là. Ce ne sont pas de bêtes paroles lancées comme ça ; je te le jure. Alice. Regarde-moi. Je le savais… Je te l’avais dis que tu ne me croirais pas. C’est tellement…tellement… Même moi, j’ai du mal à me croire. Si ça se trouve, tu as raison… je suis juste fou. Qu’est-ce que tu fais ? Alice ? Reviens ! Écoutes-moi, au moins! Tu voulais savoir, très bien ! Je vais tout te raconter, tout t’expliquer mais, je t’en prie, reste-là !
Je croyais que tu voulais un endroit plus sec pour discuter ?
Je croyais que tu ne voulais pas bouger tant que je ne t’aurais pas expliquer…
Oui. Et bien ? J’ai changé d’avis. T’façon, j’ai froid… et puis j’ai faim, aussi. Si tu m’connais, comme tu l’dis, tu dois savoir qu’ça fait longtemps qu’ça m’est pas arrivé alors magne-toi, avant d’me couper l’appétit. T’auras tout l’temps d’m’expliquer ça en marchant.
Comme tu veux. J’en étais où ?
La raison d’ta présence sur cette plage… Et ton identité qui reste vachement floue, quand-même. N’espère même pas t’en sortir avec ce sourire ! T’étais prêt à tout lacher, non ? Alors vas-y, j’t’écoutes… Balance. Pour ce qui est d’te croire ou pas, j’aviserai après…
Tu m’en veux pas trop ?
De ?
De t’avoir sorti de l’eau…
Non. Pourquoi ? J’devrais ?
Non. Enfin, je ne crois pas. J’en sais rien en fait. Je crois qu’à ta place, je m’en voudrais.
Oui. Ben, t’es pas moi, tu vois… J’peux pas t’en vouloir, j’aurais fait pareil. Et puis, si l’envie m’prend de r’commencer, j’m’assurerai qu’t’es pas dans les parages avant, c’est tout. Oh ? Quoi ? Fait pas cette tête ! C’est drôle, nan ?
Pas vraiment…
Oh. Excuse-moi… J’suis convaincante, hein ? Bon, alors, tu racontes ?
Moui. J’y vais. Enfin, à l’avenir, essaye de m’épargner ce genre de vannes pourries , s’il-te-plaît.
Et s’il me plaît pas ? Ah ! Ca va. J’rigole. Bref. Vas-y. Je me tais. Promis…
…
J’ai rien dit, c’est bon !
Non. Mais là, tu as juste cassé l’instant. Comment tu veux que je te parle sérieusement, après ça ? Hein ?
Je sais pas… normalement, tu vois. Tu prends un air super sérieux et grave ; genre comme ça : pis tu racontes… Tu pourrais commencer par m’expliquer cette histoire de suicide à vingt ans d’écart. J’t’avoue qu’ça m’chiffonne ‘tant donné qu’tu dois pas avoir plus d’vingt-deux piges.
On ne t’a jamais dit qu’il ne faut pas se fier aux apparences ?
Si, des millions de fois… Mais quand j’y penses, généralement ce ne sont pas les apparences qui sont trompeuses, juste les à priori qui y sont liés. Alors ? Qu’est-ce que t’attends pour m’expliquer ?
En fait, je ne sais pas trop par où commencer…
Par le début ?
Merci pour le tuyau… j’y avais pas pensé, tiens. Soit. Je te préviens, ça risque d’être long.
J’ai tout mon temps… Arrête de tourner autour du pot !
D’accord, c’est bon. J’y vais… Je suis né dans les années soixante ; fils de bonne famille, rien de vraiment transcendant. On n’était pas vraiment riche, on n’avait juste le nom… Mon père dirigeait une petite société qui marchait pas trop mal, ma mère était femme au foyer. J’avais une grande soeur à peine plus vieille que moi ; Ariane ; et un petit frère ; Arthur de six ans mon cadet qui me suivait partout comme si j’étais son unique point de repère, son modèle ou je ne sais quoi. J’étais trop jeune pour me poser ces questions-là. Il me collait, me harcelait de « pourquoi ? », faisait tout comme moi ; ça suffisait largement à m’emmerder… Pourtant, je l’aimais, tu sais, mon petit frère. Avec ses boucles blondes et sa bouille d’ange, on pouvait difficilement rester indifférent. On menait une petite vie plutôt tranquille, sans réels besoins, sans réelles ambitions ; juste le plaisir d’être réunis. Va pas croire qu’on était une famille modèle pour autant ! Ma mère s’ennuyait ferme entre ses quatre murs et mon père passait plus de temps au bureau qu’à la maison ; je détestais ma grande soeur – qui me le rendais bien, d’ailleurs – et mon frangin mettait mes nerfs à rude épreuve la majeure partie du temps.
En fait, t’étais un gros râleur de première ?
Moi ? Non !!….Ok, un peu peut-être… Disons que je n’étais pas vraiment un modèle de patience. Tu peux parler, n’empêche, miss je fais quinze choses en même temps ?!
Ca n’a strictement rien à voir ! Je suis multitâches, j’en profite pour gagner du temps. Toi, tu râlais pour râler, apparemment. En tous cas, t’aimais pas grand chose !
Pas grand monde, nuance ! Des choses, j’en aimais plein ! Ma guitare, ma chambre, le silence, la maison avec vue sur la mer de mes grand-parents, les filles aussi ; tant qu’elles ne s’appelaient pas Ariane. Tu vois ?!
Ouais, enfin ; t’aimais pas ta soeur, t’aimais pas ton frère, apparemment t’aimais pas beaucoup ta vie, non plus !
Tu t’attendais à quoi ? Je t’ai dis que je m’étais suicidé, non ? Alors ?! Tu crois qu’on commet ce genre d’acte quand on vit au pays des bisounours ?!
Et vexatile, en plus… Soit, vas-y. Continue. J’dis plus rien, promis.
Ne fais-pas de promesses que tu es incapables de tenir.
Tu veux parier ?
Ha ! Pour quelqu’un qui ne devait plus rien dire !
Pfff ! C’est petit, ça ! Allez, continue, Grognours !
Gro-quoi ?
Grognours… C’est un bisounours… Bref. Continue.
Mh. Oui. Donc, je disais quoi encore ? Ah, oui. Ma famille. On était donc pas la meilleure famille du monde la majeure partie du temps mais ce n’était pas vraiment important. Au final, on ne manquait de rien et puis, on était réunis. Chaque été, on partait quelques semaines au bord de la mer, dans la maison de mes grands-parents. Il y avait toute la famille ; les cousins, les cousines. C’était vraiment le paradis ! Déjà, parce qu’Ariane était beaucoup trop occupée pour m’ennuyer et puis, ensuite, parce qu’il y avait toujours bien quelqu’un pour s’occuper d’Arthur. Enfin, je pouvais respirer. Et je t’interdis tout commentaire ! Ca faisait juste du bien de pas devoir tout le temps garder un oeil sur lui ! T’imagines ce que c’est ? Oui… Bon. Et bien, justement, tu peux comprendre.
Non. Moi, j’adore ma soeur.
Moi aussi j’adorais mon frère ! C’est pas pour autant que j’avais pas besoin d’un peu d’air de temps en temps. Ma mère était pas vraiment du genre « poule », tu vois. Plutôt : « T’es grand, maintenant. Démerdes-toi. » Elle a toujours préféré ma soeur…
Voilà pourquoi tu l’aimais pas…
Qui ?
Ta soeur.
Oh. Oui. Peut-être… Enfin, elle non plus ne m’appréciait pas beaucoup… Et c’était elle, l’aînée. Soit. On s’en fou. On est pas là pour parler de ça. Si tu veux que je t’explique tout, il faudrait déjà que tu arrêtes de m’interrompre tout le temps. Oui. Donc. On partait chaque été à la mer, avec toute la famille, c’était super… Jusqu’à la mort de mon frère… Désolé, c’est un peu dit platement mais je ne vois pas vraiment comment le formuler autrement. Je devais avoir seize ans, à l’époque ; quelque chose comme ça… Avec Luc et Jérémie ; mes cousins ; on avait fait le mur pour rejoindre une bande de filles sur la plage, en pleine nuit. Après quelques bières, l’une d’elle a suggéré qu’on se fasse un bain de minuit « dans les règles de l’art » ; comme elle disait.
A poil, quoi…. Ok. J’me tais.
Oui… Autant dire qu’on s’est pas fait prier ! En quelques minutes, on était tous dans l’eau à rigoler, se tripoter… Enfin, tu vois le genre ?
Ouais, parfaitement…
Bref, je t’épargne les détails…
Merci, c’est gentil…
On en a profité un bon moment ; j’avais même pas réalisé qu’Arthur nous avais suivit, pour tout te dire… Jérem et Luc non plus, d’ailleurs… Ce n’est qu’en revenant sur le rivage, lorsqu’on s’est tous jetés sur nos affaires pour se rhabiller – il fait rarement chaud, la nuit, par ici – que j’ai remarqué ses vêtements en tas, à quelques pas de là… Immédiatement, je me suis mis à le chercher, sous les regards perplexes des cinq autres ; il faut dire que je n’étais pas vraiment en état de leur expliquer la source de mon angoisse. Du haut de ses dix ans, Arthur avait l’eau en horreur et c’était à peine s’il savait nagé… même s’il voulait toujours tout faire comme les grands. Du coup, j’ai commencé par fouiller les dunes et les environs, bien loin de m’imaginer qu’il aurait pu se jeter à l’eau sans prévenir qui que ce soit et, surtout, sans que personne ne l’y ait obligé. Au début, j’ai même pensé qu’il me faisait simplement une blague…. Je me suis mis à hurler à travers toute la plage, aussi fort que je le pouvais :
« Arthur ?! Bordel ! Reviens ici ! C’est pas drôle »
Mais rien… Pas de réponse. Juste le bruit des vagues, le sifflement du vent et quelques mouettes au loin. Ce n’est qu’à ce moment là que les autres ont compris. A leur tours, ils se sont mis à chercher un peu partout en hurlant son prénom ; en vain. Il n’y avait aucune trace d’Arthur sur la plage… Rien… Je suis retourné jusqu’au tas de vêtements pendant que Jérémie, Luc et les filles continuaient à chercher après lui. J’avais une boule à l’estomac, la gorge nouée et le coeur qui battait à cent à l’heure. Il n’y avait pas trente six milles endroits où il pouvait se cacher, surtout pas à moitié nu et en pleine nuit. Pas Arthur.
Je me suis agenouillé dans le sable et, sans vraiment savoir pourquoi, j’ai commencé à retourner toutes ses affaires, comme si j’espérais y trouver un indice, quelque chose qui pourrait me renseigner sur la direction qu’il avait prise ; qui pourrait me rassurer, me faire dire que non, il n’avait pas plongé… Il avait laissé là ses chaussures, son jeans trop grand, son t-shirt « Formule 1 » et son pull préféré ; bleu marine, avec un col rond et une kyrielle d’écussons soigneusement brodés de ses petites mains. Il avait même laissé sa figurine de GI Joe…
J’ai pas réfléchis plus loin ; je me suis rejeté à l’eau ; tout habillé cette fois, dans l’espoir de le repêcher avant qu’il ne soit trop tard. La mer n’était pas particulièrement agitée ; juste sombre et froide. Il n’avait pas dû aller très loin ; je l’espérais, du moins. Aussi casse-pieds qu’il puisse être, je l’aimais mon petit frère et je n’arrivais même pas à imaginer ce qu’aurait été ma vie sans lui… C’était juste impensable !
Je ne sais pas trop combien de temps je suis resté dans l’eau, à me débattre avec les remous ; à plonger encore et encore, fouiller, hurler… Rien. Juste le bruit du vent, juste le bruit des vagues… Résigné, je me suis mis à faire du sur-place, scrutant la surface sombre de l’eau, espérant apercevoir au loin sa bouille d’ange et ses boucles blondes ; je priais pour qu’il aille bien, au moins… J’espérais que tout ça ne soit qu’un rêve ; ou plutôt un cauchemars … Avec un peu de chance, il avait renoncé à la dernière seconde, il était rentré en oubliant ses affaires derrière lui, trop pressé de retrouver la chaleur de son lit…
C’est là que je l’ai remarqué, quelques mètres plus loin ; son corps flottant sur le ventre, tout juste retenu à la bouée par le bout de son pied. Mon sang n’a fait qu’un tour ; j’ai commencé à nager dans sa direction en essayant d’éviter d’imaginer le pire, en priant pour qu’il ne soit pas trop tard…
« Arthur !?! Bon sang ! Arthuuuur !? »
Je criais comme un possédé tandis que j’avançais dans sa direction, beaucoup trop lentement à mon goût… Oh, bon sang, si tu savais à quel point je m’en voulais, déjà à ce moment-là. J’avais beau prier, espérer ; une partie de moi savait pertinemment qu’il était trop tard. Mais qu’est-ce que je pouvais faire, hein ? A part espérer et agripper le plus fermement possible son corps inerte pour le ramener jusqu’à la berge où les autres attendaient… Ils avaient fini par se regrouper au bord de l’eau, incapables de discerner clairement les contours de nos deux silhouettes qui se rapprochaient péniblement.
Jamais, de toute mon existence, je n’avais nagé aussi vite, aussi fort. Jamais je ne m’étais senti aussi pressé et oppressé. J’étais gelé jusqu’au plus profond de mes os ; mes muscles crispés par l’effort et le froid me faisaient mal à en crever, comme si à chacun de mes gestes, ils pouvaient se déchirer. Mais la peur donne des ailes ; c’est bien connu. J’étais épuisé, essoufflé, à bout de force – comme tu peux le constater, j’ai pas vraiment l’allure d’un athlète – pourtant, je continuais d’avancer. Rien, aucune force quelle qu’elle soit, n’aurait pu m’arrêter, je crois…
Dès que j’ai été capable de sentir le sable sous mes pieds, j’ai fait glissé aussi délicatement que possible, le corps d’Arthur dans mes bras. Je l’ai serré contre mon coeur ; je sentais bien que le sien ne battait pas mais je ne pouvais que refouler cette idée ! S’il n’était déjà plus là ; je n’avais alors plus aucune raison d’avancer, plus aucune raison de lutter… de résister à l’étreinte glacée de la mer…
Sur le rivage, ils commençaient tous à trépigner, s’impatienter. Les filles se tortillaient en se mordant les lèvres ; pas réellement consciente de la situation. Luc et Jérémie, quant à eux, étaient tendus, fébrile, prêt à agir dès qu’ils en auraient l’occasion. Ce qu’ils firent, d’ailleurs… Je commençais tout juste à émerger de l’eau, les bras serrés autour du corps de mon frère, qu’ils s’élançaient déjà à ma rencontre. Le premier réflexe de Luc ; le plus âgé ; fut d’essayer de me soulager de ce fardeau tandis que Jerem tentait tant bien que mal de m’aider à tenir debout. Mais je n’avais pas besoin de leur aide ; je n’en voulais pas ! Sans réfléchir, j’ai resserré mon étreinte en les maudissant de tout haut.
« Touche pas ! LE TOUCHE PAAS, J’TE DIS !! JE le tiens, j’m’en occupe…ça…ça ira…il va bien… »
Et je me suis effondré sur la plage sans parvenir à me défaire du petit corps sans vie. Je savais pertinemment qu’il n’allait pas bien, que rien n’allait bien ! Il n’avait pas moufeter de tout le trajet ; pas un souffle ne s’était échapper de ses lèvres, aucun cri, aucun son, rien. Son corps était glacé, ses lèvres toutes violacées… Il était mort.
C’est dingue… Malgré tout ce temps, je me souviens de chaque détail comme si c’était hier. L’odeur salée de la mer, le crissement du sable, le froid qui mordait ma peau, les cheveux collés à mon front, les grosses gouttes qui coulaient le long de mon visage pour remplacer mes larmes qui ne coulaient pas. J’entends encore les cris paniqués des trois filles lorsqu’elles ont enfin réalisé ce qui était entrain de se passer sous leurs nez… La voix de Luc, juste à côté de moi, qui me répétait de le lacher, qu’il étai déjà trop tard, que j’avais fait tout mon possible pour le sauver…
Mon possible ; mon cul, ouais ! Pardon… C’est juste… Peut-être… Tu sais ; si j’avais pu… Si j’avais su… Tu sais ; les fameux gestes qui sauvent. J’ai jamais été très assidu en cours ; secourisme compris…
Et…et après ?
Après ? Je sais pas… Je sais plus. C’est là que tout s’embrouille dans ma tête. J’ai du resté un bon moment là, à genoux dans le sable, le petit corps d’Arthur serré dans mes bras ; parce que, quand l’ambulance est arrivée, que les parents ont débarqués, j’étais déjà pratiquement sec… Je me rappelle vaguement du son strident des sirènes, des cris hystériques de ma mère… Moi aussi, j’ai crié, j’ai hurlé, je me suis débattu férocement quand ils ont voulu me l’enlever… Finalement, c’est comme ça qu’ils m’ont embarqué et, durant tout le trajet jusqu’à l’hôpital, je l’ai pas laché ; pas une fois.
Et puis… Tout est flou. Je suis resté en catatonie pendant plusieurs jours, à ce qu’on m’a dit. Pas un geste, pas un mot, rien… Du coup, ils m’ont gardé à l’hosto un bon moment. J’ai même pas été capable d’assister à l’enterrement ; c’était préférable, de toute façon. Je pense pas que ma mère aurait supporter de me voir, ce jour-là. Mon père non plus ; d’ailleurs… J’avais déjà du mal à croiser mon propre reflet dans une glace ; alors eux, tu penses bien. J’étais responsable, à leur yeux… Je crois que si je l’avais tué de mes mains, l’effet aurait été le même… Enfin, je ne sais pas. Je me trompe peut-être… C’est pas comme si j’avais eu l’occasion de leur poser la question.
Ils ne sont même pas venu me rechercher; ils m’ont laissé aux bons soins de mes grands-parents… C’est là que j’ai vécu jusqu’à la fin ; ma fin, exactement. Ici, sur la côte, dans cette maudite villa avec vue sur la mer ; celle que j’aimais tant…avant. Je ne sais pas si c’était volontaire de la part de mes parents ; s’ils cherchaient à me punir où si, tout simplement, ils n’avaient plus de place pour moi, dans leur coeur et sous leur toit. Je ne sais pas…. J’ai jamais vraiment cherché à savoir… Je ne les ai pratiquement plus revus, après ça. Ariane non plus, mais ça m’allait très bien comme ça. De toute façon, je n’aurais pas su quoi leur dire, pas su quoi faire… Voilà comment je me suis retrouvé en enfer.
Entre la culpabilité, le rejet de mes parents, la proximité de cette plage et la terrible absence, le vide sidérale laisse par Arthur après son départ… J’ai commencé à boire, à sortir, à draguer autant que me droguer ; comme si je cherchais désespérément un moyen d’évacuer la haine que j’avais pour moi-même. J’étais déjà pas très fan de ma personne ; alors là…
C’est dommage… J’t’aime bien, moi. T’as l’air plutôt sympa, comme gars. Enfin, j’suis pas très bonne juge, tu vas m’dire… Un cacao, ça te tente ?
A suivre…
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