Matt (1)
- Alinoë
- 3 févr. 2014
- 7 min de lecture
Forum Jetez l’Encre, première nuit des Plumivores. (Texte écrit en trois heures)
2007
Matt était enfermé là depuis si longtemps qu’il en avait perdu le compte des minutes, des heures, des jours… Un mois, en fait. Il s’en était arrêter là. À quoi bon, de toute façon? Aux rythmes où allaient les choses, il n’était pas prêt de revoir la lumière du jour! Quoique..
La seule lumière à laquelle il avait droit provenait des larges spots braqués sur lui en permanence de sorte qu’aucune ombre ne puisse se projeter de son corps. Sage précaution quand on connaissait un tant soit peu le jeune homme…
La moindre inattention pourrait leur être fatale et ça, Jorge Gonzalès, du haut´de ses soixante printemps, le savait pertinemment. Il avait d’ailleurs pris toutes les précautions possibles et imaginables pour le garder enfermé et, jusque là, tout semblait se dérouler à merveille.
En deux ans, il n’avait eu à déplorer que quelques vaines tentatives d’évasion et, depuis quelques jours, Matt semblait bien avoir perdu toute envie de résister. Il restait sagement assise sur l’imposante chaise métallique à laquelle il était arrimé, la tête rejetée en arrière et les yeux clos, parfaitement immobile depuis plusieurs heures déjà.
Tout portait à croire qu’il dormait et pourtant… Les multiples capteurs arrimés à son corps ne mentaient pas. Son coeur battait régulièrement malgré l’épuisement dont il devait souffrir, son activité cérébrale dépassait l’entendement et son indexe droit tapait contre l’accoudoir au rythme d’une musique qu’il était le seul à entendre.
De l’autre côté de l’imposante vitre teintée Jorge inspectait les écrans par dessus l’épaule de son agent de sécurité. Appuyé d’une main sur le panneau de contrôle, il passait en revue chacune des caméras de surveillance, sourcils froncés, à la recherche du détail qui le chiffonnait. Quelque chose clochait, mais quoi?
Il se redressa dans un grognement, tira vigoureusement sur les pans de sa veste de costard pour le défroisser un peu et d’un claquement de doigt, intima l’ordre à sa jeune assistante personnelle d’approcher. La jeune femme, poliment restée en retrait jusque là, hésita un instant tandis que tous les hommes présents la dévisageaient férocement.
“Qu’est-ce que tu attends??”, la pressa Jorge d’un ton tranchant. “Madre de Dios! C’est pas possible d’être aussi empotée!”, jugea-t-il bon de rajouter tandis qu’elle se décidait enfin à approcher, sans toutefois oser décoller ses yeux du sol bétonné. “Si señor. Pardonnez-moi, je…” “¡Vale!, ¡Vale!”, la coupa-t-il avec un vague geste de la main pour l’inviter “gentiment” à se la fermer. “Ecoute-moi, tu veux?! Montes à l’étage, demandes aux crétins qui m’servent de descendants d’ram´ner leurs grosses fesses et restes-y, que j’n’ai plus à supporter tes jérémiades et ton r’gard de merlan frit!”
La jeune femme resta un instant bouche-bée puis, ravalant ses larmes, pivota sur la pointe des pieds et s’éloigna en faisant largement claquer ses talons aiguille. Un pareil déhancher, ça ne s’inventait pas! A cette constatation, Jorge se rappela pourquoi il l’avait engagée. Elle n’avait peut-être pas inventé le fil à couper le beurre mais elle aurait certainement pu donner des cours particuliers à l’inventeur du kamasutra en personne. Il laissa échapper un léger sifflement satisfait entre ses dents avant de revenir à la contemplation de ses écrans…
Rien. Où plutôt si; une totale obscurité qui semblait emplir le moindre centimètre de l’entrepôt. Une seule minute d’inattention avait suffit à Matt pour retourner la situation à son avantage car, même si les capteurs indiquaient qu’il était toujours arrimé à la chaise, aucun homme sain d’esprit n’accepterait d’entrer là-dedans sans une puissante lampe de poche et une bonne dose de courage.
“Solaz, Sanchez; allez jeter un oeil. TOUT DE SUITE!”, aboya Jorge tandis qu’il chassait violemment l’agent de sécurité de devant sa console pour s’y installer, histoire de voir si le fait de toucher frénétiquement tous les boutons n’arrangerait pas son problème.
Les deux hommes s’exécutèrent sur le champ, non sans une sacrée dose d’angoisse dans leurs regards. De part et d’autre de la double porte, ils glissèrent dans un même geste leurs cartes magnétiques dans les boîtiers prévus à cette effet. S’en suivit l’entrée d’un code numérique, la prise d’emprunte digitale et, finalement, un rapide scannage d’iris; simple question de sécurité.
Une fois les divers contrôles effectués, le mécanisme se mit en marche, chuintant et cliquetant à souhait au beau milieux des vociférations de Jorge. Si seulement il savait…
De son côté, Matt n’avait toujours pas bougé d’un poil, bien incapable de se libérer des lourdes chaînes métalliques qui enserraient ses chevilles, sa gorge, son torse et ses poignets. Il ignorait totalement la raison de cette brutale obscurité cependant, il n’avait pas l’intention de laisser passer cette occasion en or.
Lorsque la porte montra les premiers signes de mouvements, il se redressa autant que possibles, ses prunelles sombres rivées en direction de la source du bruit tandis qu’un léger fin sourire satisfait apparaissait doucement sur son visage. Matt en avait la certitude à présent, quelqu’un avait enfin décidé de lui venir en aide et il pensait même savoir qui. Enfin, l’heure de la vengeance avait sonné!
La double porte commença doucement à s’ouvrir mais la lumière, au lieu d’envahir la pièce sembla reculer face à l’oppressante obscurité de l’entrepôt. Solaz et Sanchez échangèrent un bref regard nerveux, dégainèrent leur pistolet et pénétrèrent prudemment dans la pièce, pas rassuré pour un sous.
Ils avaient à peine faire quelques pas que les portes se refermèrent violemment et, avant qu’ils n’aient le temps de comprendre ce qu’il se passait, Matt rassembla ses dernières forces et, cabrant le moindre de ses muscles, fit voler ses liens dans un claquement sec. Les chaînes brisées retombèrent bruyamment sur le sol, terminant de paniquer les deux nouveaux venus. Ces derniers, dans un dernier élan d’espoir, foncèrent droit vers la porte porte et, sans réfléchir, se mirent à frapper frénétiquement l’épaisse couche de métal de leurs poings crispés pas la terreur.
L’obscurité s’épaississait à chaque seconde, l’air se faisait de plus en plus glacial et chaque respiration angoissée leur déchirait la poitrine plus douloureusement encore que leurs cris désespérés et puis, plus rien. Juste un lourd silence de mort.
De l’autre côté de la vitre teintée, tous fixent les écrans dans l’espoir vain de parvenir à percer les ténèbres pour tenter de comprendre ce qu’il venait de se passer. Soudain, Jorge se leva d’un bond, pressa le large bouton rouge qui ornait le coin supérieur droit de la console et, sans aucune d’explication, se dirigea prestement vers l’unique ascenseur tandis que l’alarme se mettait à retentir bruyamment à travers tout le complexe, agrémenté d’une lumière rouge qui clignotait au rythme lancinent de la sirène.
Lorsque la porte de l’ascenseur s’ouvrit dans un petit ding joyeux, Jorge s’y engouffra et, pivotant sur lui-même, se mit à appuyer frénétiquement sur le bouton du rez-de-chaussée, totalement indifférent au sort de la dizaine d’hommes qu’il laissait derrière lui. Pour eux, c’était déjà trop tard…
Bingo! La double-porte métallique vola en éclat, libérant sur le champ un tsunami d’obscurité qui eut tôt fait d’engloutir le couloir avec, en son coeur, un jeune homme qui réclamait vengeance. Pendant deux ans, ces hommes l’avaient gardés enfermés; pendant deux ans, ils l’avaient analysé sous toutes les coutures, fait toutes sortes d’expériences pour tenter de comprendre son fonctionnement et tout ça pour le compte d’un seul homme: Jorge Gonzales, son propre grand-père. Ce soir – ou ce matin, d’ailleurs. Il n’avait aucune idée de l’heure – cet homme allait regretter d’être venu au monde!
Plus décidé que jamais, Matt se rua vers l’ascenseur; trop tard. La porte se referma sous son nez et, bien entendu, il n’y avait aucun escalier et toutes les issues devaient probablement être déjà bouclées à l’heure qu’il était.
-13; -12; -11;…
Les chiffres défilaient rapidement tandis que Jorge se rapprochait de plus en plus de la surface. Matt devait agir et vite s’il voulait quitter le complexe vivant. Si l’ancêtre fuyait de la sorte, Matt était prêt à parier qu’il y avait de l’auto-destruction là-dessous. Après quelques seconde de réflexion, il posa ses mains contre la porte glacée et, fermant les yeux, commença à se concentrer. Puisqu’il n’avait pas le choix, il tentait le tout pour le tout.
Brusquement, ses paupières s’ouvrirent, dévoilant ses prunelles totalement noircies par une étrange brume mouvante. Il laissa filtrer un étrange sourire sur ses lèvres et glissa doucement sa main droite dans le minuscule interstice entre la porte et son encadrement.
En quelques seconde, la totalité de son corps avait suivit le même chemin et, pas plus de cinq minutes plus tard, Matt apparaissait au milieu du grand hall en faisait exploser au passage toute source de lumière. Jorge, à quelques pas de la porte en verre, ne prit même pas la peine de se retourner pour savoir ce qu’il se passait. Il voulait quitter cet immeuble, et vite! Il détalait à la vitesse du désespoir mais rien ne pouvait lutter contre la rage du jeune homme.
D’un large geste de main, Matt fit tomber le lourd rideau métallique devant la porte vitrée, coupant immédiatement toute retraite à son aïeul désemparé.
“Tu ne vas pas faire de mal à ton grand-père, tout de même?”, risqua-t-il en se recroquevillant contre le volet. “Donne-moi une seule bonne raison d’faire ça?”, lacha le jeune homme tandis qu’il s’accroupissait devant lui, saisissant fermement la tignasse blanchie du vieil homme pour le forcer à admirer ses prunelles assombries. “T’as dix secondes…dix…” “Attend! On devrait…” “Neuf” “Enfin, Matt! Toi et moi…” “Huit” “J’te donnerai tout ce que tu veux…” “Sept. C’que j’veux, c’est te voir crever entre mes mains. Cinq.” “Hey!” “Quatre” “Ok. Enfin, j’ai le bras long tu sais. J’pourrais…” “Quoi? Vendre ta mère pour payer ta dette? Deux.” “Tout de suite! Non…” “Un.” “Tu vas quand même..” “Zéro.”
Un mouvement sec, un craquement sourd. Matt avait hésité à faire durer le supplice mais pour quoi faire? Un homme pareil n’avait ni pitié ni dignité. Il méritait une mort à son image: brève, sans fioritures et parfaitement minable.
Satisfait, Matt se releva tranquillement, défroissa les lambeaux de son pantalon – son unique vêtement – et, une fois le volet partiellement levé, quitta l’immeuble sans un regard en arrière, totalement indifférent aux regards étonnés des passants.
Alinoë, 2013
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