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Aquarium

  • Photo du rédacteur: Alinoë
    Alinoë
  • 29 nov. 2015
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 3 mai 2020

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Betty travaille dans un de ces grands immeubles de bureaux tout en verre comme un gigantesque aquarium où nagent tranquillement ses collègues costumés.


Tous des coincés.


Betty a dix-neuf ans. Elle est stagiaire depuis six mois dans l’entreprise de Papa, parce que cet idiot (surtout sa pétasse) estime qu’il est temps qu’elle apprenne la valeur de l’argent.


Une idée à la con.


Betty sait très bien le nombre de zéros à allonger derrière le un pour se payer une jolie paire de Louboutin. Le reste, elle s’en fiche. Un jour, elle épousera un homme riche et d’ici là, elle a toujours Papa. La pétasse peut chouiner tant qu’elle veut, personne ne résiste longtemps au regard angélique de Betty, surtout pas son « papounet chéri ».


Tellement facile.


Betty sourit bêtement à l’écran de son smartphone, le cul posé sur la photocopieuse, en hauteur pour ne pas rayer les belles semelles rouges de ses escarpins vernis. Elle est plutôt jolie avec sa jupe crayon qui souligne sa taille fine, son chemisier négligemment ouvert jusqu’au troisième bouton, laissant voir juste ce qu’il faut de sa lingerie, et sa fine main manucurée qui glisse distraitement dans ses long cheveux blonds.


Rien à envier à une certaine Hilton.


Betty passe le plus claire de son temps à glander sans même prendre la peine de se cacher. Elle like, tweet, textote, se remaquille ou bien se fait les ongles en attendant la pause de midi pour déjeuner avec ses copines et puis, enfin, la fin de la journée. Elle n’a aucun scrupules. Personne n’ose rien lui dire, de toute façon, c’est la fille du patron.


Personne, jusqu’à ce matin.


Martin est technicien. Il bosse pour une entreprise d’électronique spécialisée dans la conception et la maintenance du matériel de bureau. Il voyage d’un immeuble-aquarium à un autre, volant à la rescousse des patrons en panique lorsqu’une imprimante, un pc ou une photocopieuse tombe en rade.


Un McGuyver moderne.


Martin aime son métier, de nouveaux défis chaque jour et jamais deux fois les mêmes visages. Pas de cancans à supporter, de rassemblement bovins autour de la machine à café. Il peut pisser, bouffer et fumer quand il veut.


La belle vie.


Martin traverse l’étage sans prêter un regard à la faune locale. Personne ne le calcule, lui non plus. Il se contente de suivre la secrétaire coincée dans son tailleurs trop étroit d’une taille au moins. Elle l’entraîne jusqu’au petit bureau où Betty n’a toujours pas décollé les yeux de son portable ni le cul de sa photocopieuse.


« Mademoiselle van Hart… »


Betty relève vaguement les yeux, adressant un regard pour le moins dédaigneux à l’odieuse secrétaire qui ose la déranger en plein tweet. C’est à peine si elle remarque le péquenaud mal rasé juste derrière.


Martin réprime une grimace, dégaine son vieux téléphone cabossé et avise l’heure dans le seul but de se donner une contenance. Il déteste ce genre de fille à papa née avec une cuillère en argent dans la bouche, persuadée que tout lui est dû.


« Pourriez-vous…Mh. La machine est en panne… », souffle timidement la secrétaire.


Betty roule des yeux, pince les lèvres et demande d’un ton blasé d’avance :

« En quoi ça me regarde ? »


Martin souffle bruyamment, les doigts tambourinant contre sa cuisse. Il n’a pas que ça à faire, lui. D’autres clients, d’autres bécanes à réparer. Il vient donc se planter devant Betty, la mine décidée :

« Ecoute, Barbie, t’as p’têt rien de mieux à foutre mais moi si. Alors, tu bouges ou tu restes, mais faudra pas chialer si ta jolie tenue est bousillée. » En guise de conclusion, il s’agenouille au pied de la photocopieuse et entreprend d’en ouvrir le capot sous le regard à la fois admiratif et apeuré de la secrétaire boudinée.


Betty reste interdite quelques secondes, la bouche entrouverte et les yeux ronds, outrée qu’il ose lui parler de la sorte, choquée aussi et peut-être un peu émoustillée. Un peu seulement. Elle se ressaisit rapidement, glisse gracieusement jusqu’au sol et, les bras croisés sous la poitrine, s’exclame :


« Vous vous prenez pour qui ? »


Martin ne frémit pas, plié en deux, trop occupé à scruté le coeur de l’appareil à la faible lueur de sa lampe de poche. Il s’applique. Plus vite il aura fini, plus vite il pourra s’éloigner de cette furie en talons aiguilles, mais rien ne l’empêche de s’amuser un peu… Un sourire effleure ses lèvres tandis qu’il répond :

« Le seul gars dans cette boîte capable de changer des cartouches d’encre. Et le dit gars a un planning chargé. »


Mouchée.


Betty émet un léger grognement en resserrant les bras autour de sa frêle cage thoracique, une expression de franche contrariété sur le visage. Il ne lui reste qu’à abattre sa dernière carte puisqu’il ne daigne même pas la regarder.


« Vous savez à qui vous parlez ? »


Martin soupire une nouvelle fois, éteint sa lampe de poche et se relève tout à son aise, volontairement dos à la jeune prétentieuse. Il chipote quelques instants à l’écran tactile de la photocopieuse, règle deux trois paramètres et, enfin, pivote face à Betty à un pouce de la crise de nerfs.


« Mademoiselle Béthanie van Hart. »


Echec et mat.


Betty reste sans voix, le cerveau à l’arrêt. Personne ne lui parle comme ça, jamais. Personne ne la regarde droit dans les yeux sans sourciller. Personne ne lui manque de respect sans le payer. Elle dirait bien quelque chose mais la seule pensée qui lui vient est de hurler un « Papa » puéril et ridicule.


Martin sourit en coin, cale la cartouche d’encre vide dans les bras de Betty au mépris de son beau chemisier blanc et conclut ce trop bref entretient :

« Moi, c’est Martin. »


Betty suit des yeux le technicien tandis qu’il quitte le bureau, son sac à dos sur l’épaule, droit et fier au milieu de cette masse grouillante de costumes gris.

Martin traverse l’étage sans un regard en arrière, sans une once d’attention pour la faune locale. Il fredonne une petite mélodie dans sa tête, un léger sourire aux lèvres. Déjà, son téléphone vibre. Une nouvelle mission l’attend. Il s’engouffre dans le premier ascenseur venu, quitte l’immeuble-aquarium et rejoint tranquillement dans sa camionnette blanche.



Alinoë, 23/11/2015

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