Où est Charlie?
- Alinoë
- 11 nov. 2015
- 4 min de lecture
Où est Charlie ?
Désolée, je peux pas te parler là. Y a du monde, tu vois, plein de gens en bas. Y pigeraient pas. Ca les dépasse. Tu les dépasses tous.
Ils sont petits, limités par leur vision du monde,trop étriquée. Ils ne te voient pas donc tu n’existes pas.
Je sais que c’est faux. Je te vois, moi, comme je t’ai toujours vu. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, tu es réel pour moi. Mais je suis grande, maintenant. On tolère d’un enfant qu’il parle au néant, on met ça sur le compte de l’imagination débordante, d’un manque d’amitié flagrant. Un adulte qui parle au vide est fou, tout simplement.
Non, évidemment, je ne suis pas folle. Disons juste qu’on est… Mh. Incompris. Oui. Voilà. Incompris. Alors, s’il-te-plait, reste là, même s’ils ne peuvent pas te voir, moi si. Je te connais, tu sauras pas t’empêcher de dire des conneries et c’est moi qui passerai pour l’idiote de service. Non, pour une fois dans ma vie, fait ce que je te dis.
Oui, je sais ce que j’ai dit, « ils sont petits » ; n’empêche qu’ils font partie de ma famille. On la choisit pas sa famille.
J’ai trente piges aujourd’hui, je peux pas les mettre à la porte parce que tu fais une crise de jalousie.
Oh, Charlie ! Evidemment que je préfèrerais rester ici mais…
C’est facile pour toi ! T’as personne à contenter, personne qui te dis ce que tu dois faire, où tu dois aller, comment t’es sensé te comporter. Tu vis dans ma tête et t’y mets tranquillement le bordel mais, moi, il faut que j’affronte le monde, après.
Ecoute, je dois y aller, vraiment. Je reviens vite, promis.
*
Charlie ?
Arrête c’est pas drôle.
Ils sont partis maintenant.
Charlie ?
Aah putain ! Tu m’as fait peur !
Haha… Je me marre. Trop drôle. T’as quel âge, bordel !?
Je sais t’as pas d’âge. C’est une façon de parler.
Arrête de te bidonner. Je croyais que tu voulais fêter dignement mes trente ans ? On peut faire tout ce que tu veux. Y a plus personne. A neuf heure et demi…
Oui, c’est tôt. Et alors ? Ils s’ennuyaient, moi aussi. J’ai pas cherché à les retenir. C’est mieux comme ça, juste nous deux.
Alors, tu veux faire quoi ?
On pourrait… Vas-y, choisis, je m’en fiche. J’aime pas les annifs, ça sert à rien ! Un an de plus au compteur et un de moins à vivre, y a vraiment pas de quoi en faire une affaire d’état.
Non, je déprime pas, juste… D’accord, je déprime peut-être un peu.
Je voudrais t’y voir ! Regarde-moi, trente ans et quoi ?
J’ai rien, rien à part toi.
Si… on est bien ensemble. C’est pas la question. Bien ou pas, le monde est là, il avance, évolue alors que toi… Toi, tu restes toi. T’as pas de problèmes, personne qui te juge, personne pour te faire chier, t’es libre. Je t’envie…
Fait chier ! C’est qui qui sonne ?!
Bon, j’y vais, toi tu bouges pas.
Parce que recommence pas !
Le temps de virer cet emmerdeur et après on ira se bourrer la gueule, s’envoyer en l’air avec le premier venu, tout ce que tu veux, je m’en fous.
*
Putain de merde ! On est où ?
Charlie !
Réponds bordel !
Dis quelque chose, n’importe quoi, s’te-plait…
Charlie ?
Te… T’es où putain ?
Tu te fous de ma gueule ?! Tu vas pas m’lâcher maintenant ?
Y a quelqu’un ? Vincent, c’est toi ? Merde… il est où, lui ?
Charlie, arrête de jouer au con ! Je sais que t’es là, quelque part. Forcément. Tu peux pas sortir de mon crâne même avec… un trou ?!
CHARLIIIIIIE !
*
« Je vais bien, tout va bien. Je suis gai, tout me plait… »
Conneries… CONNERIES !
Ouvrez cette porte, putain de bordel ! Qui que vous soyez ! OUVREZ !
Vous êtes là, j’vous entend respirer ! Alors quoi ? Ta mère, enculé ! Tu veux quoi ? Hein ! Qu’est-ce t’attends ? Que j’hurle à la mort ?! Que j’pleure, que j’te supplie ?!
VA TE FAIRE FOUTRE, PAUVRE CON !
Jamais ! Tu peux crever ! Charlie va venir… tu verras. Il me trouvera. Il me trouve toujours. C’est toi qui va pleurer !
*
T’es encore là ?
Oui, évidemment. C’est un jeu pour toi…
Trop l’éclate.
Tu prends ton pieds j’espère, qu’un de nous en profite.
Mais putain ! Tu cherches quoi ? A me rendre cinglée ?!
J’le suis déjà, au cas où !
Merde, merde, MERDE !
OUVRE ! SORS-MOI D’LA, QUE J’VOIS TA TRONCHE DE FILS DE PUTE !
*
Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ t’ai fait ?
On décide pas d’enfermer les gens comme ça sans raison. Y a forcément un truc…
J’suis une femme, c’est ça ? J’ai mis une mauvaise quote à ton gamin ? Ou t’es juste un d’ces trous du cul qui s’en prend au premier venu ?
Alors c’est quoi ? Vas-y, dis-moi !
Parle bordel ! PARLE !
TU VAS L’OUVRIR TA PETITE GUEULE D’ENFLURE !
Non, non, non, NOOOOOOON !
Où tu vas ?
REVIENS !
*
Y…Y a quelqu’un ?
Vincent, t’es là ?
VIIIINCE !
Vince…
*
Charlie ? Boude pas, s’te-plait ! Je… J’suis désolée. J’le ferai plus, j’te l’ promets ! La prochaine fois, j’ le laisse se geler les miches dehors !
Charlie ?
Parle-moi…
*
Cha…Charlie ? Ce… C’est toi ? Pitié, dis-moi que c’est toi !
Je veux rentrer chez nous, à la maison…
J’ t’en prie ! Tu peux pas me planter comme ça ! Sans toi, j’suis rien, moi.
Charlie, reviens…
*
Ch… ? Ch… Charlie ?!
Non ! Ce…c’est…C’est impossible !
P…parce que ! Tu…Tu peux pas ! T’existe même pas !
AAArrête, tu m’fais mal !
T’es qui putain ? Tu veux quoi !
NON ! TA GUEULE !
T’es pas Lui, tu le sera jamais !
CHARLIE !
*
Vi…Vince ? Vincent ?
Vincent ?!
Bouge, dis quelque chose !
VINCENNNNT !
Tu l’as… ENFOIRE, TU L’AS TUE !
REVIENS ICI, PUTAIN !
*
Charlie ?
J’t’en prie…
J’dirai rien à personne. Ce sera notre secret, juste à nous.
Charlie ?
Détache-moi. J’suis fatiguée, j’veux rentrer…
Pourquoi tu fais tout ça ?
Vince c’est…c’était rien, juste comme ça. Personne peut prendre ta place tu l’sais bien !
Charlie, parle-moi bordel ! Dis quelque chose !
Non ! Attends ! E…Excuses-moi, j’crierai plus, promis !
Charlie ?
Arrête, tu m’fais peur…
CHARLIIIIE !
*
Les amants de la rue des Jonquille : le mystère s’épaissit.
Les corps sans vie de Charlotte Liénard et Vincent Moens ont été découverts hier matin au domicile de la jeune femme. Le professeur de sport de trente-deux ans aurait été poignardé dans son sommeil. Quant à l’institutrice de trente ans, retrouvée au fond de son placard, elle aurait succombé à une fracture crânienne ainsi que plusieurs entailles profondes au niveau de l’abdomen.
Monsieur Dupond, le porte-parole de la police déclare : « A l’heure actuelle, nous n’avons pas encore déterminé s’il s’agit de l’oeuvre d’un tiers ou celle de mademoiselle Liénard comme le portent à croire les empruntes retrouvées sur l’arme du crime. L’enquête suit son cours. Nous vous tiendrons informés. »
Alinoë, 5 Novembre 2015
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