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Le doudou de Leah

  • Photo du rédacteur: Alinoë
    Alinoë
  • 22 mai 2015
  • 3 min de lecture

Je suis déchiré, à bout de force, usé jusqu’à la corde. J’aurais aimé intervenir, vous savez mais comment ? Il était beaucoup trop fort, trop grand ; un homme et elle, une enfant.

J’en ai trop dit, déjà. Je ne devrais pas. Je suis soumis au secret, comme les prêtres, vous savez ? Je ne tiens peut-être plus la grande forme mais il me reste encore un peu d’honneur et de fierté. Je ne peux décemment pas briser la confiance de Leah.

Laissez-moi ! Posez-moi ! Vous n’avez pas le droit de me trifouiller comme ça. Je ne vous dirai rien. Je suis propre, moi. Nikel. Blanc comme neige. Elle m’a lavé, trois fois ; mes fibres en sont encore toutes resserrées.

Vous voyez…

Ramenez-moi auprès d’elle, maintenant. J’ai promis. Je ne peux pas l’abandonner. Je suis sûre qu’elle a peur. C’est mon rôle de la rassurer.

Hey, qu’est-ce que vous faites ? Non. Mais… C’est privé, ça. Un trou, une cigarette qui a ripé. Pas touche. Je suis déjà bien assez abîmé.

Merci.

Bon, qu’est-ce que vous attendez ? Si vous voulez la faire parler, je vous conseil de me rendre sur le champ. Quoique, même comme ça, vu vos têtes, je ne suis pas certaine qu’elle daigne vous adresser la parole.

Leah, elle ne dit rien, pas un mot, sauf à moi. C’est comme ça. Je connais toute sa vie, ses moindres secrets, des choses que vous ne devinerez jamais.

Vous pensez vraiment parvenir à percer ses secrets en analysant chaque centimètre carrée de tissus que je comporte ? Je ne suis rien, rien qu’un bout de chiffon. Je n’ai aucune valeur pour vous. Pour Leah, par contre…

Elle me trimballe partout, de la maison à l’école, de l’école à la maison, chez Mamy le week-end et même à la piscine, la pleine de jeu, le supermarché, l’église où le magasin de bonbons.

Du haut de ses six ans, elle n’est pas bête, vous savez. Son silence, juste une manière de se protéger. On n’attend rien de quelqu’un qui se tait, on ne s’y intéresse même pas. Elle rase les murs, se fait oublier. Sa vie se résume à ça, ne pas se faire remarquer.

S’Il ne la voit pas, Il ne peut pas la blesser.

Il se rabat sur sa mère. Elle, elle parle, se répand en excuses et pleure comme si elle y était pour quelque chose, comme si elle l’avait mérité.

Leah ne dit rien, elle ne peut pas. Sa gorge se noue lorsque l’instituteur lui demande comment elle va. C’est à cause de lui que vous êtes là. Il n’a pas su se taire, Monsieur Matelard.

Il a des doutes depuis des mois. Mais Leah, elle ne parle pas. Elle reste dans son coin, avec ses livres d’images, ses puzzles, ses gribouillages et moi. Les poupées, elle n’y joue pas. Elle les enferme dans un coin. Elle ne veut pas les voir. Elle les trouve laides avec leurs regards vides et leurs sourires figés.

De loin, l’instituteur l’a observée. Il ne peut rien faire si elle refuse de parler. Pas sans une preuve…

Les marques sur ses bras, c’est ça qui L’a trahit. Il se pensait si grand, si fort, au dessus de la loi. Vous savez que c’est Lui. Monsieur Matelard vous l’a dit. Pourquoi vous restez là ? Pourquoi vous me triturez ? Je ne suis qu’un bout de draps tout vieux et tout usé.

Le doudou de Leah.

L’entendez-vous pleurer ?

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