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Les Geeks nous sauveront !

  • Photo du rédacteur: Alinoë
    Alinoë
  • 3 févr. 2014
  • 26 min de lecture

Eric, j’l’aime bien. C’est un mec, comment dire… Un gamer, un rôliste, un Geek quoi. T’en connais sûrement un. Mais si, écoute bien.

Eric vient tout juste d’avoir trente ans, jeudi précisément et, même s’il ne se sent pas plus mûr pour autant, il ne peut s’empêcher de se manger un méga coup de vieux, et tout ça à cause de quelques malheureux cheveux blancs. Eric vit seul dans un vingt mètres carré, un microscopique studio où il a atterrit suite à un ixième placage pour cause d’immaturité. C’est là qu’il entasse toutes ses richesses, son précieux trésors de Geek – des jouets pour gosses, dixit son ex – composé de manga, bande-dessinées, la collection complète du parfait petit fan de SF, les dvd qui vont avec, toutes les consoles du marcher passé et présent – futur s’il le pouvait – avec les jeux assortis, bien entendu ; et un beau pc dernier cri, le tout disposé dans un charmant bordel, entre les vêtement sales et autres ordures journalières. Pourquoi se faire chier ? Il n’a personne à satisfaire, juste quatre pensions alimentaires à payer ; pas de quoi en chier une pendule. Eric a un boulot ; la réussite de toute sa vie : il est testeur de jeux vidéo. Que demander de mieux ? Bon, d’accord, il a trente ans m’enfin, un petit marathon rôlistique entre amis et tout devrait rentrer dans l’ordre. En plus, il connaît les joueurs parfaits et il a plus d’un scénario sous la main. De quoi passer un week-end entier autour d’une bonne partie de Donjon et Dragons avec les meilleurs potes que la terre ai porté. Le pied !

Vendredi, Eric envoie joyeusement quelques invits, fait le plein de nourriture et de boissons, entasse le bordel dans les coins. À huit heure tapantes, les potes arrivent : Adeline, Steve, Jon, Nico et Tim. Il se saluent, déballent leur affaires, éteignent leur portables et calfeutrent portes et fenêtres. À neuf heures, ils s’installent autour de la table de salon en tenue de circonstance – pantalon de training et t-shirt large -, décapsulent les bières, ouvrent les paquets de chips et sortent leurs dés. La partie peut enfin commencer. Quarante-huit heures plus tard, après plusieurs litres de coca et de bière, quelques kilos de chips, sans parler des pizzas, les six amis exténués s’entassent sur des matelas maladroitement alignés, histoire de grappiller quelques heures de sommeil avant un brusque retour à la réalité.

Lundi, onze heures, pas un réveil ne sonne et aucun bruit de klaxon ne vient le remplacer malgré la vue imprenable de l’appart’ sur le boulevard Général Jacques. Rien. Pas un bruit. Juste les chuchotements nerveux de Nico et Jon, pestant sur leur smartphones visiblement défectueux. Eric, encore à moitié endormi, se retourne en grognant tandis qu’il remonte la couverture au dessus de sa tête.

« Non mais franchement, ils pourraient pas se taire ces deux branleurs ?! Y en a qui dorment ! Enfin, qui essayent… », peste-t-il intérieurement sans remarquer le manque flagrant d’agitation à l’extérieur, pas plus que ses amis d’ailleurs.

Nico et Jon, quelques matelas plus loin, sont absorbés dans l’allumage/éteignage frénétique de leurs téléphones incapables de capter le moindre réseau ; Steve, son smartphone dans une main, retourne la kitchenette à la recherche du moindre morceau de bouffe à grailler en attendant que le café ait fini de couler ; Tim est déjà entrain de répartir ses points d’expérience sur sa feuille de personnage comme s’il s’attendait à ce que la partie reprenne et Adeline, en bonne fille qui se respecte, profite de la douche pour se décrasser après ce long week-end sans l’ombre d’un morceau de savon.

Ils sont tous tellement absorbés dans leurs occupations que pas un ne semble s’inquiéter de savoir s’il trouble ou non le paisible sommeil d’Eric. Celui-ci commence par se retourner en soupirant fortement ; aucune réaction. Il réitère ; tout le monde s’en branle. Contrarié, il se redresse brutalement en repoussant la couverture, pratiquement certain d’obtenir une réaction cette fois… Mais rien, quedal, nada.

« Merci les gars ! », lance-t-il sèchement tandis qu’il attrape un vieux jeans usagé traînant là et plonge la main dans la poche pour en sortir briquet et paquet de clopes.

À ses mots, les quatre mecs se tournent vers lui d’un même mouvement, un air d’incompréhension totale sur leurs visages encore marqués par la fatigue ; à croire qu’ils s’étaient passé le mot.

« Putain ! Je rêve ! Super le manque de respect, quoi. », s’exclame-t-il en se levant d’un bond. « Y a rien qui vous choque ? On est tous dans une petite pièce alors, z’êtes gentils mais vos chuchotement à la con, c’est assez casse-couilles ! Y en a qui essayent de dormir, bordel ! »

Tous écoutent son joli discours sans broncher ; Steve poussant même le vice jusqu’à arborer un sourire amusé tandis qu’il pointe de l’indexe droit l’horloge du micro-onde tout en filmant le glorieux réveil de son ami.

« 11:07 », déchiffre mentalement Eric en se grattant la tête.

« Mouais, ben c’est pas une raison ! Pour une fois qu’on a un peu de calme… », bougonne-t-il encore en se dirigeant mollement vers le balcon.

Il tire les rideaux, les yeux plissés pour éviter tout éblouissement intempestif, et ouvre la porte-fenêtre sans même remarquer l’odeur particulière qui emplit l’air humide de cette journée d’automne. Dehors, le ciel est bas, d’une teinte gris-jaune parfaitement glauque et immonde. Enfin, au moins il ne pleut pas… Pas encore. Eric fait un pas sur le balcon en laissant la porte se refermer derrière lui. Sans un regard pour le décors, il prend une cigarette, la porte à ses lèvres et tente à plusieurs reprises de faire sortir une flamme de son briquet bon marché. Rien. Il soupire, grogne un peu en le secouant vivement, recommence : Frssssssshhhh ! Une immense flamme apparaît soudain, brûlant au passage quelques mèches de cheveux sans toutefois allumer le bout de sa sucette-à-cancer.

« Faites que ça soit les blancs ! Faites que ça soit les blancs ! », répète-t-il dans sa tête tandis qu’il tente de voir l’étendue des dégâts sur sa tignasse déjà trop éparse à son goût.

Pas très joli mais, au moins, il lui reste ses sourcils. Il frotte nerveusement à l’endroit de la brûlure, sa clope toujours entre ses lèvres, et retente un allumage de briquet, le bras tendu cette fois. Rien.

« Putaiiiin !? », jure-t-il en secouant avec hargne la source de tous ses problèmes. Il veut juste fumer sa cigarette, c’est trop demander ?

Et comme si Dieu lui-même avait entendu ses prières, le briquet daigne enfin lui fournir une flamme correcte qu’il s’empresse d’amener au bout de sa cigarette. Première taffe, tête qui tourne, sourire satisfait. Eric se laisse retomber sur le transat humide en soupirant, les yeux rivés vers le ciel juste trop moche.

Deuxième taffe, gorge qui gratte. Une cartouche à six en deux jours, c’était peut-être un peu exagéré…. ou pas. « Geek, une autre façon de vivre ! » Il sourit à cette pensée. Troisième taffe, il recrache la fumée en se redressant d’un bond. C’est vachement calme, quand même, pour un lundi matin sur le boulevard. Il pivote lentement vers la balustrade pour regarder les environs.

« Qu’est-c’que c’est qu’ce bordel ?! », lâche-t-il dans un souffle tandis que sa précieuse cigarette glisse de ses lèvres pour s’échouer sur le pavé.

Sans réfléchir outre mesure, il s’engouffre dans le studio, le visage livide et l’air passablement choqué, à tel point qu’il parvient tout juste à articuler quelques mots inaudibles. Jon et Nico le dévisagent, Tim arque les sourcils et Steve continue de boire tranquillement son café tandis qu’Adeline, fraîchement habillée, traverse la petite pièce pour sortir à son tour, sans même prendre la peine de demander quoi que ce soit à Eric. En même temps, vu sa tronche, il ne risque pas de dire grand chose.

En quelques secondes, Adeline se retrouve sur le balcon, ses grands yeux noisettes maquillés à la mode japonaise, rivés sur le carnage d’en-bas. Ok, le boulevard est toujours remplis de voiture mais pas comme aujourd’hui, pas comme ça. Déjà, elles sont toutes à l’arrêt ; certaines en travers de la chaussée, d’autres encastrées, d’autres encore carrément retournées. Et c’est pas tout ! Même depuis le septième étage, Adeline peut facilement constater que la majeure partie des véhicules étaient encore habitées lors de l’accident. Les cadavres les plus chanceux paraissent entiers – bien que sanglants – , et retenus dans leur prison de métal par leur ceinture de sécurité. Certains semblent même encore respirer – frétiller, pour être exacte – mais de son poste d’observation, Adeline ne pourrait le jurer.

« Putain, les gaaars ! Faut trop qu’vous v’niez voir ça ! », s’exclame-t-elle d’un ton oscillant entre l’horreur et l’excitation.

Répondant à l’appel de la fille, les cinq garçons se précipitent sur le balcon et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, les voilà tous serrés comme un Tetris, contre la balustrade rouillée, pour contempler la véritable boucherie qui s’offre à leurs yeux ébahis. Et comme si ce n’était pas encore assez flippant, il règne un lourd silence morbide, brisé par quelques croassement intempestifs et autres bruits de charognards venu profiter du festin à ciel ouvert. Quand est-ce arrivé ? Et comment se fait-il qu’ils n’aient rien entendu du week-end ? Ils avaient pris un si grand soin à couper tout lien avec le monde extérieur qu’ils étaient passés à côté d’un truc carrément énorme.

« A votre avis, on a plutôt affaire à un truc du style Bienvenue à Zombieland ou Resident Evil? », demande Tim le plus sérieusement du monde. « Pourquoi pas carrément Alien ou Prédator, tant qu’t’y est ! », réplique Nico avec ironie. « Nan, pour moi c’est plus un truc du style World War Z. » « N’importe quoi !», le coupe Jon en levant les yeux au ciel comme s’il était en compagnie de débiles profonds. « Moi, j’penche plutôt pour des terroristes. »

A ses mots, tous le dévisagent avec scepticisme ; excepté Steve trop occupé à filmer la scène à l’aide de son smartphone orphelin de réseau.

« Quoi ?! Vous voyez des aliens ou des zombies, vous ? », insiste Jon, vexé. « Euh… ouais. », lache Adeline en pointant du doigt un groupe de monstres grognant au beau milieu de la chaussée, quelques mètres plus loin, visiblement décidés à attraper un homme à moitié démembré qui tente de leur échapper à la simple force de ses bras en laissant derrière lui une longue traînée de boyaux et de sang. « Meeerde ! », soufflent en chœur les garçons tandis qu’ils admirent la scène avec un intérêt douteux.

Seul Eric ne dit rien, debout dans l’encadrement de la porte, un air sérieux sur le visage qui contraste largement avec son accoutrement limité à un simple caleçon couvert de smiles délirants. Ils ne peuvent quand même pas rester là, bêtement, à commenter le carnage du boulevard comme si c’était de la science-fiction. En plus, si ça se trouve, c’est un gros bordel généralisé à tout le pays, le continent, voir même me monde entier. Il soupire fortement, relève la tête vers ses comparses apparemment bien loin de toutes ces considérations. Steve, toujours entrain de filmer, avait entamé une séance de commentaires sportifs, pour le plus grand plaisir de ses amis :

« Attention, le numéro neuf prend de la distance… Il s’extrait du peloton… Quelle remontée, mesdames et messieurs ! C’est tout simplement spectaculaire ! Il court à une de ces vitesses – pour un zombie – à couper le souffle ! Just Awsome ! Il accélère encore, attention, il bondit, prend appui sur un pare-choc et c’est le plaquaaaaaaage ! Mesdames et messieurs, vous venez d’assister à un grand moment d’anthologie !!! »

Et tandis que Steve mimique l’air victorieux d’un sportif de haut niveau, tous applaudissent joyeusement en entonnant quelque hymne footballistique d’une profondeur…

« We’re coming. We’re coming. We’re coming down the road ! Can you hear the noise of the mauve army boy ? We’re coming down the road ! »

« Au risque d’faire le rabat-joie, on essayerait pas d’savoir c’qui s’passe au lieux d’chanter des trucs à la con ? », lâche platement Eric en mettant un terme immédiat à tout élan de joie. « Pas bête ! », dit simplement Tim, rapidement suivit dans son assentiment par le reste de la bande. « Tu proposes quoi, McGuyver ? », demande alors l’unique fille, avec un petit air provocant. « Nan pas’que c’est bien d’nous pourrir notr’ fin du monde mais t’as une idée, au moins ? » « J’sais pas. », répond-t-il en haussant les épaules. « On pourrait commencer par rentrer et sécuriser l’appart, nan ? Pas’que, si c’est un virus ou une saloperie du genre, doit y en avoir plein les couloirs ! Et j’sais pas vous, mais moi j’ai pas très envie de voir débarquer Mister Pittbull dans mon salon… »

Ils échangent quelques regards, marmonnent, jettent un rapide coup d’oeil au carnage et se décident enfin à rentrer pour s’installer autour de la table de salon, non sans une petite boule d’angoisse au creux de l’estomac. Ce genre de scénario, ils y avaient pensé des centaines de fois. Ils avaient lu des tonnes de bouquins là-dessus, regardé tous les films qui traitaient du sujet, affrontés des apocalypses bien pires que celle-là dans leur jeux vidéos et leurs RPG, et tant de fois discuté de ce qu’ils devraient faire le jour où, fatalement, quelque chose dans ce goût-là finirait par leur arriver. Autant dire qu’ils sont devenus experts dans l’art d’exploiter leur imaginaire mais, aujourd’hui, toutes ces belles allégories ne servent à rien. Tout ceci est bien réel. Les zombies ou quoi qu’ils puissent être ont envahi la rue, le quartier et peut-être toute la ville, voire le pays et même le monde entier.

Ils doivent agir, vite. Déjà, parce qu’ils n’ont plus un gramme de nourriture mangeable dans cet appartement et, ensuite, parce que rester là, à ne rien faire, ne risque pas d’arranger le problème… Et si eux ne font rien, qui le fera ?

« Bon, j’propose qu’on se répartisse les tâche », fini par déclarer Eric entre deux gorgées de café noir, puisqu’il n’y a plus de lait… « Déjà, un groupe va devoir explorer l’immeuble. Il nous faut de la bouffe et tout l’équipement qu’on pourra trouver. Ceux qui restent devront s’occuper de chercher des infos et sécuriser tous les accès : barricader les fenêtres – même la petite de la salle de bain – et renforcer la balustrade histoire que rien ne puisse y grimper mais qu’on ai quand même un accès vers l’extérieur. Et puis, surtout, évitons de nous faire repérer par ces machins, ok ? J’tiens pas à me faire bouffer ! » « …dans l’meilleur des cas », précisa Steve, sans émoi. « Nan parce que, faut dire c’qui est ; t’as plus de chance de d’venir un des leurs que d’te faire bouffer, on est d’accord ?! » « Pas dit… », réplique Jon en se redressant de toute ça petite taille. « Ah ouais. Ca dépend de c’que c’est comme saloperie ! S’ils sont plus voraces qu’intelligents, t’as plus de chance de finir en ragoût, s’tu veux mon avis… » « Mouais… », répond Steve, pas convaincu pour un sous.

De toute façon, une fois zombifié, t’es à priori incapable d’aligner deux pensées donc, tu t’en fiches ! Alors que si tu te fais bouffer, t’as tout le temps de souffrir pendant qu’ils plantent leurs dents répugnantes dans ta chaire pour te dépecer.

« Les gars, on s’en branle ! », lâche Adeline, dans le but évident de recentrer la conversation. « C’est pas comme si ça changeait quoi que ce soit à la situation. Il nous faut des vivres et du matos. J’suggère qu’Eric, Steve et moi, on s’charge de ça pendant qu’vous cherchez des infos. » « Hey, pourquoi c’est nous qui nous tapons le boulot de gonzesse ? », s’indigne Nico en décollant enfin les yeux de son smartphone. « Pas’que t’as la musculature d’une croquette hémiplégique et qu’même avec un bras dans l’dos, j’te mets ta pâtée quand je veux ! », rétorque la jeune femme, outrée par cette remarque machiste. « Moi, ça m’va… »,glisse discrètement Jon au milieu de la joute verbale. « Aha ! J’demande à voir ! Tu crois franchement que pas’que t’as plus de graisse que moi, tu peux m’foutre une mandale ? », s’exclame Nico, contrarié qu’on puisse remettre en doute sa virilité. « Je crois pas, j’en suis sûre ! », insiste encore Adeline avec provocation. « Tu veux qu’on teste pour voir ? »

Mais avant que Nico n’ai le temps de répondre, Eric coupe court à la dispute d’un sifflement strident : « Stop ! C’est pas bientôt fini vos disputes de gamins ? J’vous rappelle que c’est la fin du monde, dehors ! Faudrait voir à pas l’oublier, ça ! C’est sur ces saloperie d’zombac qu’il faut taper, pas l’un sur l’autre, ok ? »

Sans attendre de réponse, il se lève et commence à s’activer. Il enfile son jeans, son t-shirt de Green Day, une paire de chaussettes trouvée là puis se dirige vers sa penderie. S’ils doivent faire une sortie, Eric veut être équipé et, pour ça, il a exactement ce qu’il lui faut : son vieux costume de GN soigneusement rangé dans sa housse, histoire de ne pas l’abîmer. Ca fait une éternité qu’il ne la pas sortie et, malgré les circonstances, Eric ne peut réprimer un petit sourire satisfait tandis qu’il enfile la fine cotte de mailles par dessus le t-shirt, recouvre le tout de son plastron en fer – plus léger qu’un vrai et nettement moins solide aussi mais ça fera l’affaire… – et fixe ensuite autour de ses membres les brassières et jambières métalliques. Il termine par l’enfilage d’un épais pull à capuche noir par dessus tout ça et, enfin, enfile son casque cabossé, de quoi mettre la touche final à son look parfaitement ridicule. Niveau armement, il opte pour un grand couteau de cuisine dans une main et un second, savamment fixé au bout du manche de son balais faisant office de lance, dans l’autre. Il est prêt.

Quant à Adeline et Steve, ils n’ont pas autant de choix. De fait, Eric n’a qu’un seul costume de GN et ni l’un ni l’autre n’a d’équipement de survie dans ses affaires. Après tout, l’invitation ne faisait pas mention d’une partie d’attrape-Zombie ni même d’une fin du monde quelconque. Ils se contentent donc de quelques couches de vêtements en guise d’armure, l’une ou l’autre casserole servant de casque, un couvercle métallique pour bouclier et un pied de chaise comme unique arme. Quelques minutes plus tard, ce sont trois adultes arborant des costumes indignes de la pire fête d’Halloween qui se tiennent devant la porte, prêts à faire une sortie.

« M’est d’avis qu’tu sortes le premier. », lache Steve à l’attention d’Eric. « Ben quoi ? C’est toi qui as le meilleur costume, fait pas chier ! », poursuit-il devant l’air incrédule de son ami.

Soit. Puisqu’il n’a pas trop le choix, Eric prend une grande inspiration et, prudemment, entrouvre la porte pour tenter de savoir si le couloir est ou non praticable. Autant dire qu’avec un écart de trois centimètres, il ne parvient pas à voir grand chose et, non sans soupirer au préalable, il se résigne à écarter un peu plus le pan du chambranle, juste assez pour y glisser la lame de son couteau en guise de miroir. Puisque ça marche dans les films…

« R.A.S. », chuchote-t-il à l’attention de ses coéquipiers puis, plié en deux, il se glisse enfin hors de l’appartement ; Adeline et Steve sur ses talons.

Le couloir est désert, aucune trace d’agitation, rien. C’est presque trop calme…. Eric n’aime pas beaucoup ça. Il préfère la technique du sparadraps : tu tires d’un coup sec, tu chies des bulles mais au moins, c’est vite terminé ! Ici, il sent bien venir l’exploration d’immeuble de trois plombes, où tu pleures à chaque porte que t’ouvre de peur qu’un truc immonde te saute dessus. Il ne manque que la musique d’ambiance pour se croire en plein Last of Us ou un truc glauque du genre. Et puis, il faut avouer que le décors n’aide pas… Un petit couloir étroit, une seule autre porte qui donne sur le toit et la cage d’escalier obscure à souhait. Les trois jeunes gens font quelques pas, les mains crispées sur leurs armes de fortunes. Soudain, Eric lève la main à la manière d’un militaire et s’immobilise en haut des marches. Il y a du bruit en bas ; des espèces de grognements animales doublés de couinements masticatoires à leur glacer le sang.

« Bougez pas. J’vais jeter un oeil. », souffle le meneur. « T’as vraiment envie d’aller voir ? », murmure Steve tandis qu’Eric entame sa lente descente sans même prendre la peine de répondre. De toute façon, cette remarque n’a aucune intérêt. « T’es con, aussi ! », grommelle Adeline sans décoller ses prunelles de la silhouette difforme d’Eric. « On va quand même pas bouffer nos baskets ! Et puis, qu’est-c’que tu fous avec ton téléphone, bordel ! C’est pas le moment de Tweeter ! » « J’Tweet pas, Nabilla ! Y a plus d’réseau, t’façon… J’filme, c’est tout ! Histoire de garder quelques images pour la postérité ! » « La postérité d’mon cul ouais ! T’as vu le look qu’on a ? Merci l’image ! », rétorque-t-elle à mi-voix malgré son envie de se défouler sur son ami. « Et puis, franchement, qui va regarder ça ? Le cousin de ET ? C’que tu peux être con ! » « Ah ! C’est bien une remarque de meuf, ça ! On s’en branle de ta tronche d’alien ! C’est l’contexte qui importe ! », réplique le garçon nonchalamment adossé au mur décrépi. « Vos gueule ! », lança Eric depuis l’escalier, à mi-chemin entre les deux étages. « Vous allez finir par nous faire repérer ! »

Bon, besoin vital à combler : des communicateurs ou quoi que ce soit qui leur permettent de discuter sans rameuter tous les zombacs du quartier. Ils ont l’art de se disputer dans les pires moment aussi, ces deux-là ! À croire qu’ils ne saisissent pas le dramatique de la situation. Et dire que c’est lui qu’on traite d’immature… Une fois le silence retrouvé, Eric termine de descendre l’escalier, s’accroupit sur la dernière marche et tente de voir ce qu’il se passe dans le couloir beaucoup plus inquiétant que le précédent, le tout sans se faire repérer par le monstre en pleine dégustation d’un môme bronzé qui tient encore entre ses doigts sans vie une petite voiture rouge. A en croire l’étendue des dégâts, Mister Pittbull, à lui tout seul, vient de faire le grand nettoyage de l’étage, repeignant au passage les murs blanc cassé de magnifiques gerbes de sang allant du rouge vif au bordeaux foncé. Miam ! Et encore, je vous épargne les détails tels que les morceaux de cervelle et autres résidus humains collés à droite à gauche… Bref, un spectacle particulièrement répugnant auquel Eric, malgré la quantité impressionnantes d’images d’horreur qu’il ingères depuis des années, peine à assister sans répandre le contenu de son estomac sur le sol.

Pendant un instant, Eric se demande s’il n’aurait pas mieux fait de rester bien tranquillement chez lui à attendre l’arrivée d’une quelconque cavalerie. Après tout, il n’est pas vraiment typé héros, loin de là ! Eric, c’est plutôt le genre crevette de combat, long et filiforme, avec la peau sur les os malgré toutes les saloperies qu’il peut ingérer et l’air perpétuellement à l’ouest, dans son petit monde bien à lui. Mais là, s’il ne prend pas les choses en mains, c’est Adeline qui le fera et Eric n’est pas couard au point de laisser une femme assurer sa sécurité personnelle.

Soit. S’il ne peut ni rester là, ni remonter, il doit agir puisqu’évidemment l’imposant zombac se trouve entre lui et la suite des escaliers. En même temps, la même scène sans le monstre aurait été nettement moins drôle.. Bref. Eric n’a plus d’autres choix que d’affronter son voisin zombifié. Il ne peut pas demander à ses potes de le rejoindre sans se faire remarquer et, vu la taille de la chose, l’effet de surprise est un luxe dont il ne peut vraiment pas se passer.

Il prend donc une longue inspiration, abandonne sa lance au pieds des escaliers et entreprend d’atteindre Mister Pittbull le plus discrètement possible. Autant dire qu’entre le plastron, la cotte de mailles et ses autres protections, il galère grave ! À chaque pas, son armure de fortune grince et couine, le sol craque, ses dents claquent. Par chance, l’ennemi est tellement concentré sur sa ripaille qu’il ne remarque notre héroïque ami qu’au tout dernier moment.

Eric est là, dans son dos, les deux mains cramponnées au manche de son couteau qu’il brandit au dessus de la nuque de Mister Pittbull. Ce dernier, perturbé par une ombre mouvante, abandonne immédiatement son festin pour faire volte-face. Son visage est grisâtre, tordu dans une expression de rage soulignée par une pointe d’étonnement, le menton couvert de sang frais et les yeux striées de veines éclatées qui détaillent le nouveau venu avec une lueur d’incrédulité.

« Non mais franchement, il compte faire quoi avec son cure-dent ? », se demanderait-il s’il était encore capable de penser. Mais c’est bien connu, les zombies ne pensent pas et celui-ci ne déroge pas à la règle.

Enfin, de toute façon, qu’il pense ou non ne change rien à la situation d’Eric. S’il n’agit pas rapidement, il terminera vite en casse-croûte pour zombie. Soit. Sans réfléchir ni prendre le temps de viser, il abat l’arme de toutes ses forces sur son adversaire, la lame tranchante venant s’enfoncer dans le globe oculaire comme s’il s’agissait d’une simple motte de beurre. Sauf que le beurre, il gicle pas du sang, il braille pas non plus et il n’a pas de grand bras puissants pour venir enserrer le malheureux Eric. Mister Pittbull, si. Il va se gêner d’ailleurs !

Voilà. En une fraction de seconde, Eric se retrouve plaqué contre le mur, les pieds dans le vide, les mains toujours cramponnées à son couteau enfoncé jusqu’à la garde dans le globe oculaire sanglant. Preuve que les zombies n’ont pas de cervelle… Sans ça, il serait déjà tomber raide mort sur le parquet, vu la longueur de la lame. Mais non ! Que du contraire ! Cette attaque inopinée a tout juste réussi à l’agiter d’avantage. Le monstre claque des dents, tente d’attraper un morceau de chaire – n’importe lequel – en rependant sur sa pauvre victime du sang, des boyaux et puis un peu de cerveau aussi.

Certainement motivé par l’élan du désespoir, Eric s’agite dans tous les sens, esquivant avec une efficacité déconcertante chaque coup de dents du zombie blessé. Et tandis qu’il gigote, ses mains restent cramponnées au manche du couteau si bien qu’à chacun de ses mouvements, la lame oscille dans la boite crânienne, déchirant au passage quelques lambeau de cervelle ramollie ; ce qui ne manque pas de faire hurler un peu plus la bête enragée. S’il y a d’autres zombacs dans les parages, nul doute qu’un tel vacarme les aura alerté.

Par chance, Adeline et Steve ne sont pas très loin ! Et, comme on peut s’y attendre, c’est la jeune femme qui débarque en premier à l’étage, attrape la lance au passage et, sans prendre le temps de la réflexion, fonce droit sur le molosse pour enfoncer la lame dans son dos.

« Ah ! Tu vois qu’y a de l’anthologique à filmer ! », s’exclame Steve depuis le bas des escaliers, trop occupé pour tenter une quelconque intervention. « Putain ! Ca t’emmerderait d’lâcher ton bazar pour nous filer un coup d’main ? », s’écrie alors Eric en retombant lourdement sur le sol tandis que Mister Pittbull l’abandonne au profit d’Adeline.

Surprise, celle-ci se retrouve vite soulevée de terre, agrippée au manche à balais pendant que le zombac tourne frénétiquement sur lui-même dans le but évident de rattraper sa poursuivante comme un chien le ferait avec le bout frétillant de sa queue. Sans attendre de réponse, Eric se relève en titubant, désarmé. Et pour cause, son splendide couteau de cuisine neuf est encore fiché dans l’œil de son voisin zombifié. De son côté, Steve détourne un instant son attention de son smarphone pour contempler son arme – un vulgaire pied de chaise – puis relève les yeux vers la bête en action, Adeline cramponnée au balais et Eric partiellement dans les vapes. À nouveau un regard vers le smartphone. Il soupire en tournant la caméra vers lui : « Puisqu’ils ne peuvent se débrouiller sans moi… Mesdames et messieurs, admirez l’artiste ! »

Puis, avec le flegme d’un paresseux, il coince le précieux téléphone dans sa ceinture avant de se jeter dans la mêlée en hurlant comme un possédé. Entre l’apprentie sorcière agrippée à son ballais, le tenace freluquet et le bargeot avéré, même Mister Pittbull ne peut résister bien longtemps. C’est donc avec beaucoup de patience et une bonne dose d’acharnement que les trois comparses finissent par mettre la bête au sol. Elle gigote encore un peu, grogne par moment – gargouille serait plus exacte – et tente encore quelques morsures aléatoires ; en vain. Adeline est étendue de tout son poids sur ses jambes, Steve retient comme il peut ses bras puissants et Eric, à califourchon sur son torse, brandit à nouveau le couteau de cuisine avec une petite lueur de sadisme dans les yeux. Si on lui avait dit, deux semaines plus tôt, qu’il butterait du zombies, il aurait certainement explosé de rire. Et pourtant… C’est exactement ce qu’il s’apprête à faire en ce moment.

Et puisque dans les films, on dit toujours qu’il faut trancher la tête, tête il tranchera ! Même si, pour se faire, il doit y passer un long moment. T’as déjà essayé de trancher une tête avec un couteau de cuisine ? Non ? Et bien ça prend du temps… Et ça, ce n’est encore que le couloir du sixième étage ! Bon, je ne vais pas t’imposer la totalité de l’exploration de bâtiment. T’as saisi le concept. Ils explorent et chaque nouvelle porte ouverte, ils manquent de chier dans leurs frocs…. Ils croisent quelques zombies par-ci par-là, ça tape, ça crie, ça hurle, ça démembre, ça gicle partout. Le sang coule à flot et les restes humanoïdes s’échouent dans tous les coins tandis qu’ils réduisent un à un les zombacs au silence. Proprement dégueulasse, même pour des Geeks confirmés.

Au bout d’un long moment, nos trois amis atteignent enfin le rez-de-chaussée. Ils sont couverts de sang, épuisés, contusionnés mais encore en vie. L’immeuble n’est pas immense non plus. Il doit y avoir en tout et pour tout une dizaine d’appartements, assez petits pour la plupart et préalablement redécorés par Mister Pittbull. Autant dire que les rares survivants qu’il ont croisés n’étaient pas très vaillants, même pour des zombies. Enfin, Steve s’est trouvé une jolie hache en chemin – oui, y a toujours des haches dans les immeubles en ville. C’est bien connu ! – et un blouson de cuir épais en guise d’armure. Adeline, quant à elle, a mis la mains sur une tunique tout cuire et la cravache assortie dont feu la propriétaire devait être SM à en croire le contenu de ses placards. Enfin, ça, c’est une autre histoire…

Deux de nos héros ont donc trouvé leur bonheur alors qu’Eric, plutôt satisfait de son équipement premier, s’est contenté de ramasser au passage quelques talkies-walkies à l’effigie de Cars, parfaitement ridicules entre les mains d’un adultes mais qui, aujourd’hui, feraient amplement l’affaire.

« C’est quoi la suite du plan ? », demande Steve, planté au milieu du hall tandis qu’Adeline et Eric barricadent l’unique sortie avec tous ce qui leur tombe sous la main ; un vélo, une poussette double, quelques sacs poubelle, deux bottins et un pied de chaise en travers des poignées. « Ca va ? Ton cul est pas trop lourd ? », grommelle Adeline en revenant vers lui une fois sa tâche accomplie. « J’te jure, ça valait bien la peine de v’nir ! Même Eric est plus utile que toi ! » « Hey ! », s’écria ce dernier. « Ca veut dire quoi, ça ? Si j’avais pas été là, vous seriez encore entrain de commenter la scène sur le balcon ! » « Rho, j’faisais référence à tes muscles pas à ton cerveau ! », rétorque la jeune femme en venant se planter devant Steve, le nez pratiquement collé à sa fichue caméra. « Ouais ben c’est pas moins vexant pour autant. », râle Eric dans l’indifférence générale.

Adeline n’a pas totalement tord. Il est plutôt gringalet et, à côté de la montagne Steve, c’est encore plus flagrant. Le plus rageant dans l’histoire, c’est de se dire que ce gars, derrière ses airs de beau-gosse négligé, n’accorde pas une once d’importance à son physique, ni même à ce qu’en pensent les gens d’ailleurs. Il s’en fiche et ne se gêne pas pour le montrer.

« Quand vous aurez fini d’flirter, on pourra p’tête allez j’ter un oeil à la cave », grogne-t-il tandis qu’il traverse la pièce, bousculant au passage les deux jeunes gens en pleine lutte de regards. « Nan mais t’es malade ! », s’écrie Steve comme s’il venait de recevoir un électro-choc et, pris dans son élan, il attrape fermement Eric par le bras. « Putain, ‘faut qu’j’te rappelle les règles de bases ?!? Jamais aller dans la cave en cas d’apocalypse, bordel ! Tu verrouilles bien la porte, tu la barricades, tout ce que tu veux mais tu vas pas voir, enfin ! » « Tu veux vraiment qu’un d’ces zombac arrive dans ton dos pendant la montée ? », rétorque Eric sur le ton de l’évidence, fusillant son ami du regard. « En plus, on peut pas continuer à s’battre avec deux couteaux d’cuisine, une hachette, un pied d’chaise et une cravache. Sérieux ? T’as vu comme moi qu’y avait rien d’potable dans les appartements. » « Et t’espères trouver quoi là-d’sous à part quelques saloperies planquées dans un coin sombre ? T’as trop joué à Outcast, vieux. », insiste Steve en resserrant sa prise dès fois qu’Eric aurait dans l’idée de lui fausser compagnie. « En même temps, il a pas tord. », intervient simplement Adeline.

Intrigués, les deux garçons la dévisage, brusquement silencieux, incapable de savoir auquel des deux elle vient de donner raison. La jeune femme sourit, pose une main sur sa hanche et enfin poursuit, sur le ton de l’évidence : « Il doit sûrement faire plus noir que dans l’trou d’cul d’un black, là-d’sous MAIS ; avant qu’tu nous fasses une petite danse de la victoire, Stevy : il nous faut mieux que ça comme équipement… » « HA ! », s’exclame Eric, le doigt pointé vers son ami. « Si j’peux finir mon idée, on peut pas non plus y aller comme ça, comme des barbares. Tu sais à quoi elle ressemble, au moins, ta cave ? », continue Adeline en adressant un regard incrédule à leur hôte.

Eric se redresse, passe une main dans ses cheveux, réfléchit un instant puis hausse les épaules. Non, il ne sait pas à quoi elle ressemble, sa cave. Il n’y a même jamais mis les pieds. C’est pas comme s’il avait quelque chose à y ranger. Toutes ses possessions tiennent dans son vingt mètres carré.

« Ben, ça règle l’problème, non ? », lance soudain Steve d’un ton ravi. « J’vois pas où. On a toujours une cave avec probablement un soupirail, le tout plongé dans l’noir parc’que si la lampe marche, ça s’rait trop facile et probablement quelques bestioles qui rôdent autour du bâtiment, vu l’vacarme qu’on a fait. », réplique Adeline, plus sérieuse que jamais. « Vu sous cet angle… », souffle le beau-gosse tandis qu’il intègre toutes les informations. « Tss ! Genre y a mille angles possibles, tiens. », réplique Eric en récupérant son bras. « Changement de plan. Si y a l’armée des mort-vivants qui rapplique, faut qu’on décarre d’ici et vite. La cave et la rue, c’est carrément hors de questions. » « Attends, tu déconnes ? On a sécurisé quasiment tout l’immeuble, on a d’la bouffe à tous les étages, de l’espace, de l’électricité – pour le moment, soit – et tout le confort nécessaire. Pourquoi on bougerait ? Sérieux ? », s’indigne Steve que le nouveau plan n’inspirait pas vraiment. « On peut pas juste attendre bêtement. », renchérit Adeline en levant les yeux au ciel. « La bouffe durera pas ad-vitam et on f’ra quoi quand on s’ra à sec et qu’y aura une meute de zombacs affamés tout autour de ce magnifique QG ? » « Bouger, ça s’ra pas mieux ! », s’exclame Steve, sans plus du tout de soucier de faire ou non du bruit. « Et puis, pour aller où, en plus ? On sait même pas s’qui s’passe !?! » « Non mais ça s’ra toujours mieux qu’attendre comme des cons qu’ils débarquent au milieu du salon d’Eric. », réplique sèchement la jeune femme en venant se dresser devant Steve la montagne. « Stooop ! », hurle soudain Eric, le visage tendu, nerveux puis, une fois le calme revenu, il pose un doigt sur ses lèvres et tend un instant l’oreille, rapidement imité par ses deux amis.

Dehors, les grognements semblent s’être intensifiés et peut-être même se rapprochés. Avec tout ce boucan, rien de bien étonnant. Soit. Trop tard pour regretter. Eric arrache littéralement son pieds de chaise des mains d’Adeline avant de se tourner vers la porte de la cave. Vite. Une idée. Comment la bloquer ? C’est une simple petite porte en bois, avec une poignée ronde, impossible à caler et, bien sûre, pas de clef. Il se gratte la tête avec le morceau de bois puis, se fige, sourit. Il vient apparemment d’avoir une idée. Il regarde son genou, regarde le bout de bois, regarde son genou, regarde Steve et lui tend le pieds de chaise :

« Rends-toi utile, pour changer, réduit-moi ça en p’tit bois. » « Pourquoi ? », demande-t-il platement en jaugeant son ami, l’air sceptique. « Cherche pas ! C’est pas l’moment d’te poser des questions. », intervint Adeline, soudain très nerveuse.

Il n’en faut pas plus pour convaincre le jeune homme qui saisit le bout de bois à pleine main et, avec une facilité déconcertante, le brise en plusieurs morceaux. Impatient, Eric saisit le premier qui lui semble convenable pour le caler sous la porte puis, accroupit, il tend la main : « Vas-y, balance ! » « T’sais qu’ça va pas les ret’nir longtemps ton truc, là. », remarque Steve en s’exécutant malgré tout. « Non mais il va d’ja leur falloir un moment pour penser à la cave, s’ils y pensent. Si pas, pareil avant qu’ils fassent sauter la porte d’entrée. Ca nous laisse un peu d’temps pour rassembler quelques trucs, rejoindre le toit et s’barrer. » , répond Eric avec sang-froid. « Adeline et toi, vous devriez p’têt aller rassembler du matos, prév’nir les autres et tout pendant que j’m’occupe de ça. », murmure Steve en venant s’accroupir à côté de son ami, un demi-sourire aux lèvres.

Ils échangent une rapide étreinte virile, sous le regard perplexe d’Adeline.

« Putain, les gars, on s’croirait en pleine séquence émotion d’un film d’horreur… C’est écœurant ! »

Steve ricane légèrement tandis Eric se lève en souriant de plus belle. La jeune femme soupire, lève les yeux au ciel : « On fait comment ? Tu fouilles, j’vais prévenir les autres ? Où l’inverse ? » « Comme tu veux », répond platement Eric en se dirigeant déjà vers la cage d’escalier.

Adeline a raison. Cette scène a tout de la séquence émotion, le moment typique du film d’horreur où le héros s’en va en laissant derrière lui son super meilleur ami, où ils se font des adieux déchirants comme s’ils savaient d’avance qu’ils ne se reverraient pas. Mais non, ils ne sont pas dans un film de science-fiction, d’horreur ou quoi que ce soit. C’est la vrai vie ici… Pas très rassurant, tout ça.

Eric commence à gravir l’escalier, suivit de près par Adeline qui peine à lâcher la silhouette de Steve. Elle se mord la lèvre, détourne la tête et rattrape Eric quelques marches plus haut.

« Occupe-toi du matos. J’vais prévenir les autres et puis j’reviens t’filer un coup d’main. », lance la jeune femme avant de doubler son ami pour rejoindre le septième étage au pas de course.

Eric, de son côté, entame sa fouille rapide mais scrupuleuse de chaque appartement et Steve se retrouve seul, dans le hall d’entrée. Les premières minutes, il s’active à insérer soigneusement les petits morceaux de bois en sifflotant puis, rapidement, il perds de son entrain. Il lui en reste deux en main. Il soupire, les laisse glisser sur le carrelage et s’installe confortablement dos à la porte de la cave. Il porte la main à sa ceinture, prend son smartphone entre ses doigts et tourne la caméra vers lui :

« Mesdames, Messieurs, si vous voyez cette vidéo c’est probablement que j’me suis fait zombifié ou juste bouffer, en fait. Soit. ». Il ricane nerveusement. « Sérieux. J’sais pas c’qui s’est passé ici, mais c’est un putain d’foutu bordel d’sa mère la pute et j’en passe ! Comment c’est arrivé ? Aucune idée ! Avec les potes, on d’vait vraiment être loin ! J’sais pas comment on a pu passer à côté d’tout ça ! C’est juste trop énorme ! Bref. J’pensais faire un beau p’tit discours, vous dire quelques mots bien pensés genre speech de fin d’un film de série B… mais c’est l’désert dans ma tête. J’vous jure. J’sais même pas quoi penser. Si ça s’trouve, j’suis l’meilleur pote du film, t’sais, c’ui qui crève à peine l’intro terminée, juste avant qu’l’histoire n’ait commencée. T’vas m’dire, fallait bien qu’ça tombe sur quelqu’un… Ca pouvait pas être Eric… Bref. J’m’égare. Si vous trouvez c’te vidéo, j’espère qu’l’humanité s’ra pas totalement dévastée, qu’y aura au moins un survivant… Eric par exemple. Oh ! Heyyy ! Mais si ça s’trouve, t’es entrain d’me mater là maintenant ! Rhaa ! Ca s’rait juste trop fort ! »

Un grand fracas. La porte d’entrée vient de voler en éclat. Steve jette son smartphone au sol, se dresse de toute sa hauteur en serrant entre ses doigts la hachette. Il déglutit péniblement tandis que les premiers zombacs font leur entrée dans le hall, en grognant et gémissant comme dans les pires films du genre. Steve jette un rapide coup d’œil vers l’étage, priant pour qu’au moins ça vaille le coup, avant de s’élancer en hurlant vers la horde de morts vivant….

Bon sang, s’il avait eu une tronçonneuse, comment ça l’aurait trop fait!

***

Des cris, des hurlements, des grognements… Le smartphone glisse sur le carrelage, évite par miracle les pieds crasseux des zombies. Une gerbe de sang vient noircir l’écran.

« Putaain, Eric, qu’est-ce que tu fous ? Laisse tomber ! Faut qu’on s’arrache ! », crie Adeline depuis les étages. « Allez-y ! J’vous rejoins ! », répond la voix d’Eric à mi-chemin entre elle et Stevy. « ‘tain, mec ! Fait pas l’con ! », s’écrie alors ce dernier d’une voix étranglée par l’effort. « Tu crois quand-même pas qu’j’vais t’laisser là et t’attirer toute la gloire ! », réplique Eric, de plus en plus proche.

Un clic. Un second.

« Baisse-toi si tu tiens à tes cheveux ! », s’écrie Eric alors qu’une vive flamme envahit la cage d’escaliers. « Woooooooohouuuu ! », jubile Steve, à moitié plaqué contre les marches tandis qu’il rejoint son ami sur le palier.

En quelques secondes, les morts-sur-pattes s’enflamment, crient, gesticulent dans tous les sens, totalement désorientés. De toute évidence, Eric s’est confectionné un espèce de lance-flammes plutôt efficace. Satisfaits, les deux jeunes gens s’élancent vers les étages avant que l’immeuble tout entier ne s’enflamme. Il ne leur reste plus qu’à sauver le monde ! Après, j’extrapole. J’ai vu que cette vidéo. Mais quand on voit ce qu’ils sont capables de faire avec deux couteaux, quelques casseroles, deux pieds de chaises, une hachette et une cravache, pourquoi pas ? Imagine ce qu’ils peuvent faire avec un peu d’expérience et un armement digne de ce nom ? Mais ça, c’est une autre histoire…

Alinoë, 2013

Nb: Et désolée pour les fautes énormes! Ce texte est en court de correction… (Peut-être une suite…)

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