Lui ou Moi – 4

4.

Alors, as-tu réfléchis à ce que je t’ai dit la dernière fois que nous avons discuté? Je vois que tu as du mal à comprendre où je veux en venir… Ne t’inquiète pas, je suis là pour t’éclairer! “L’enfer c’est les autres.” A ton avis, qu’à bien voulu dire Sartre par là? Et toi, tu en penses quoi?

Moi qui viens tout droit du cœur des enfers, je peux t’affirmer qu’il y a foule là-dessous! Comme sur Terre d’ailleurs… Tu ne peux faire un pas sans gêner ton voisin! Y a pas à dire, ne pas pouvoir faire ce que tu veux quand tu le veux, c’est vraiment l’Enfer! Et c’est à ça que se résume ta vie sur Terre. Quoi que tu fasses, inexorablement, tu seras toujours limité dans ta liberté par celles et ceux qui se tiennent à tes côtés…

Où je veux en venir? A toi de me le dire! Tu n’en as aucune idée? Et bien, laisse-moi t’éclairer! Si l’Enfer est communautaire, le Paradis est solitaire. Pas de grande fête ni de réunion de famille, juste toi, seul face à toi-même, libre de faire ce que tu aimes… Chouette perspective, n’est-ce pas? Tu ne me crois pas? Libre à toi…

Après tout, je n’ai pas l’intention de te priver de ta seule liberté à l’heure actuelle: celle de penser par toi-même. Profites-en! Ça ne durera pas! Même ici, Il voudrait que tu suives Ses envies… Il a quelque chose du dictateur des fois, tu ne trouves pas? Avec Ses règles, Ses lois, Ses millions de “tu ne dois pas…”, Son regard inquisiteur braqué sur toi… Mais de Lui, tu l’acceptes sans broncher, tu trouves même ça normal puisqu’après tout, Il a clairement plus de pouvoirs que toi. Il te parque et t’élève comme tu le fait avec ton bétail, une once d’humanité en plus, certes! Tu as la possibilité de bouger et une autre perspective d’avenir que de finir dans l’estomac de celui qui te nourrit. Il te met des barrières, des limites pour te garder fidèle et servile. Et toi, tu le suis, le gratifiant même “d’Amen, alléluia!” lorsque résonne Sa voix!

Tu es comme le bétail qui file vers l’abattoir sans même avoir conscience du terminus: le hachoir! Tu avances tête baissée vers ta funeste destiné! Pourtant, tu possèdes tous ce qu’il faut pour l’anticiper. Je t’offre même un moyen d’y échapper! Alors, pourquoi hésites-tu encore? Suis-moi et tu sauras enfin ce qu’est la Liberté! Tu as toute l’éternité pour te torturer l’esprit; cesse donc de gamberger et agis!

Pourquoi crois-tu que l’on bénit les simples d’esprit? Ceux-là ont tout compris! Ils agissent sans se prendre la tête, sans se demander ce que les autres pourraient en penser. Ils font ce qui leur plaît quand ça leur chante et tu pourrais danser sur ta tête qu’ils persévèreraient quand-même! Tu les qualifies de têtus, obstinés, débiles ou déjantés mais eux, au moins, connaissent le goût de la liberté! Il n’y a d’ailleurs rien de pire pour ces êtres que de se retrouver enfermés… Du coup, tu as créé de belles prisons pour les garder!

Pour ça, j’admets que tu es plutôt doué! Arrête de faire ta mijaurée! Il suffit d’un bref regard sur ton passé pour constater à quelle point tu es expert dans l’art de détruire et torturer! Tu es bien plus habile pour ces choses-là que pour l’amour et tous ses tracas! Je sais ce que tu vas me dire: beaucoup de tes cruelles inventions ont été élaborées dans l’idée de faire le “bien”… Mais ne dit-on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions?

Alors, crois-tu encore que l’humanité mérite d’être sauvée? Penses-tu réellement que ta petite vie a une quelconque valeur aux yeux de ton Créateur? Ne vois-tu pas qu’Il se contrefiche de ton sors sur cette terre, de tes guerres, de tes misères? Il n’attend plus qu’une chose: le début de la fin.

Dans peu de temps, Il lâchera sur l’humanité ses quatre cavaliers, provoquant sans le moindre remords le plus grand des bains de sang! N’espère pas pouvoir y échapper! Ton enveloppe charnelle ne Lui est plus d’aucune utilité! Seules les âmes pures et fidèles auront le privilège de marcher à Ses côtés et l’obligation d’obéir sans poser de questions. Si c’est réellement ce que tu désires, je ne te retiendrai pas…

Pourquoi me regardes-tu comme ça? Tu ne t’attendais quand même pas à ce que je te supplie de suivre ma voie! Tu n’es pas si exceptionnel que ça, vois-tu… Des créatures capables de penser, ce n’est pas ce qui manque par ici. Ne t’inquiète pas pour moi, je trouverai aisément de quoi me satisfaire même si, je l’avoue, tu me manqueras… Enfin, il n’y a pas de quoi en faire un drame! S’il y en a un de nous deux pour lequel il faut s’inquiéter, c’est plutôt toi…

Tu n’as pas l’air bien depuis quelques temps! N’essaye pas de mettre ça sur mon dos, tu t’es débrouillé tout seul pour t’enfoncer cette fois! Moi, je n’étais même pas là. Quoi? C’est de ma faute peut-être si tu n’es pas capables d’accepter que d’autres puissent développer leur propre façon de penser? Suis-je aussi responsable de tes caprices autant économiques que politiques? Est-ce moi qui t’ai forcé à déboiser, creuser, siphonner, endommager la planète qui t’as été donnée? Est-ce ma faute encore si tu es incapable d’apprendre de ton passé, de progresser sans tout casser?

C’est un peu trop facile de me mettre sur le dos toutes les bêtises que tu ne peux pas gérer! Tu es en plein âge bête, mon pauvre! L’adolescence de ton espèce, le pire cap à passer! Tu as perdus ton innocence, tu prends doucement consciences que tes actes ont des conséquences mais tu es encore trop peu formé pour pouvoir les assumer…

Ne me regarde pas avec cet air outré! Je ne t’ai pas insulté, que je sache… Je ne fais que constater. Tu n’en es pas moins beau ou moins aimable à mes yeux, au contraire! J’aime ta fragilité, ton impulsivité et ta fougueuse jeunesse! Je m’en veux presque d’être forcée de t’imposer ce choix entre Lui et moi…

J’ai foi en toi, je t’ai tout donné même ma liberté. Je ne regrette rien, quelque soit la voie que tu décides d’emprunter… 

Alinoë 2013

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