Lui ou Moi – 6

6.

Oui, oui! Me voilà! Je sais, j’ai été longue cette fois mais, que veux-tu, ce n’est pas que je n’aime pas discuter avec toi mais, j’ai d’autres choses à faire, tu vois. Contrairement à ce que tu sembles croire, l’Apocalypse – comme tu l’appelles – ne se fera pas toute seule!

Ce que j’ai fait? Oh, rien de bien méchant… Je suis allée – comment dire – ouvrir la voie à mes plus fiers soldats, les âmes humaines les plus torturées qui, depuis une éternité, attendent sous terre que vienne le jour de notre libération.

Démons? C’est une façon – pessimiste, certes – de voir les choses. Démons. C’est un peu fort, tu ne trouves pas? Certains portent bien ce nom, je te l’accorde, mais une infime partie d’entre eux sont tombés là par erreur, malchance ou même par circonstances. Si on en croit les dires de notre Père qui est aux cieux, les non-croyants, les âmes en peines, les suicides, les meurtriers, les infidèles, les impunis, les impolis, et cætera ; toutes ces âmes sont avec moi. Tu ne me crois pas? Bien. Libre à toi.

Mais, s’il-te-plait, arrête de vouloir sans cesse tout classer, tout catégoriser comme si chaque chose n’était que bonne ou mauvaise, comme si chaque acte exécuté n’était que bonté ou méchanceté. Depuis le temps que tu foules la terre, tu devrais savoir que les choses ne sont pas toutes blanches ou toutes noires. A quoi serviraient les nuances si tout était si simple? À quoi rimeraient tes tribunaux et tous tes magistrats si tout était si claire, si compartimenté? Le bien, tout comme le mal, ne sont que les extrêmes d’une gamme nuancée. Les actes que tu commets sont rarement aussi limités.

Regarde la vie que tu mènes. Peux-tu me jurer que chaque choix que tu as fait n’était que bon ou mauvais? Tu mens pour la bonne cause, omet pour protéger, envie ce que tu ne peux posséder, jalouse ceux qui y sont arrivés et, le pire dans tout ça, c’est que tu refuses de voir les solutions à tes problèmes si elles ne t’arrangent pas… Alors maintenant, regarde-moi dans les yeux et jure-moi que, tout au long de ta vie, tu as fait les bons choix! Tu vois, tu ne peux pas ! Tu pêches à tour de bras par gourmandise, envie ou jalousie, par paresse, luxure ou avarice, colère, orgueil et toutes tes broutilles!

Tu te targues d’être à ce jour l’espèce dominante de cette planète, la bête la plus intelligente de tout le règne animal après avoir écrasé sans vergogne toutes les espèces qui auraient pu te menacer. Tu ne devrais pas en être aussi fier! Si tu domines cette terre, c’est uniquement parce qu’il n’y a plus aucune concurrence… Que dirais-tu si mes soldates, mes frères, notre Père et moi-même, nous écrasions d’un coup de talon ton espèce pour éviter tout risque de te voir progresser et – qui sait – peut-être un jour nous dominer?

Tu dis qu’un âne ne butte jamais deux fois sur la même pierre, tu devrais suivre son exemple… Regarde-toi, deux grandes guerres en moins de cent ans et, à peine un demi siècle plus tard, oubliant tout ce que le passé à bien pu t’enseigner, tu t’apprêtes déjà à recommencer… Jamais deux sans trois, tu me diras ! Regarde-toi, tu fais pitié !

Je t’ai offert ce que tu désirais le plus au monde: la Vérité, la raison de ton existence, et toi, tu doutes et refuses de m’écouter, tu persistes à croire qu’Il viendra te sauver. Si je n’étais pas éternelle, je te dirais que je perds mon temps et t’enverrais ad patres immédiatement ! Ceci-dit, tu as de la chance, je suis du genre clément…

Alinoë 2013