Psy-cause
- Alinoë
- 22 mai 2015
- 10 min de lecture
– J’sais plus écrire. – Comment ça ? – Comme ça. Ca fait deux jours maintenant. J’ai tout essayé. -Et ? -Je sais plus… Les mots ne sont que des lettres emboîtées. Chaque lettre, un hiéroglyphe mystérieux dont le sens m’échappe. – Pourtant, avant… – Je savais. Et puis, comme ça, il y a deux jours, en me réveillant, j’avais oublié. Je m’en suis rendu compte pratiquement tout de suite, en voyant le tube de dentifrice, tu sais, rouge avec le nom en blanc. – Signal ? – D’alarme, oui. J’ai appelé mon médecin, tu penses. Il comprend pas. On est deux. Enfin, trois, avec toi. – Tu l’as pas dis à Sarah ? – Ca va pas ?! Pour qu’elle panique ! Un écrivain qui ne sais plus écrire, le comble. Et le chômage assuré. La crise à la maison. Qui va payer le loyer ? – Elle. – Merci. Tu m’aides. – Tu voudrais que je dise quoi ? – Je sais pas… Tu pourrais te montrer un peu concerné, au moins. – Oh, ça va ! On ne perd pas son écriture comme ça. Tu savais avant, ça reviendra. – Et si ça revient pas ? – … – Il faut l’envisager. – Tu es intelligent. Tu trouveras bien quelque chose à faire… – Ca ne t’inquiète pas plus que ça. – Non. – Non ?! – Ca devrait ? – Oui !! Je t’annonce que j’ai perdu la capacité d’écrire ; pire, de lire la moindre lettre et toi, tu es à deux doigts d’éclater de rire. – Tu exagères. – A peine. – Si ton médecin ne trouve rien, qu’est-ce que tu attends de moi ? – Que tu m’aides. – Tu veux mon avis franc et honnête ? C’est un psy que tu dois aller voir. – Je fais quoi, là ? – Pff ! Un vrai. Enfin, un à toi. – Tu pourrais l’être. – Non. – Pourquoi pas ?! Tu as le diplôme. – Niel, sérieusement ? On se connait depuis la maternelle. On a pratiquement vécu ensemble. – … – N’insiste pas. Psychanalyse et amitié ne font pas bon ménage. Tiens, va la voir. – Tu te fous de moi ?! – Quoi ? – Je viens de te dire que l’alphabet c’est du chinois et toi, tu me donnes la carte de ta consoeur ?! – Désolé. – Mh. Tu l’as fait exprès, avoue. – Peut-être. Inconsciemment. Tu ne peux pas m’en vouloir. – Si. – Non. Ce n’est pas comme si tu n’exagérais jamais les choses. – Mh. Là, pas. – Je constate. – Tu m’énerves. – Je sais. Tiens, tu n’as plus qu’à appuyer sur le téléphone vert. Ca ira ? – Je t’emmerde. – Oh ! Niel ! Reviens ! – Crève ! – C’est pour rire. On va la voir ensemble, si tu veux. Maintenant, même. Mais je suis sûr que tu t’inquiètes pour rien. Tu nous fais certainement un de ces blocages passagers dont tu as le secret… – Genre, comme si ça m’arrivait tout le temps. – Tu veux vraiment que je te fasse une liste ? – Mh. Si je suis si pompant que ça, pourquoi tu es encore là ? – Parce que je suis ton ami. – Et ? – « Un ami, c’est quelqu’un qui te connait mais qui t’aime quand-même. » – … – C’est pour ça que je ne peux décemment pas être ton psy. – Tu n’aimes pas tes patients ? – Très peu. C’est pour ça… – Oui, j’ai compris. Et ta collègue, là ? – Apolline. – C’est quoi ce nom ? On s’en fout. Oui. Donc. Qu’est-ce qui te fait croire qu’elle peu m’aider ? – Elle adore ce que tu fais. – Une fan, c’est évidemment bien mieux qu’un meilleur ami. – Elle au moins, elle à lu tes bouquins. – Pas toi ?! – Si. Ce n’est pas la question. Mais puisque tu as perdu ton écriture, qui mieux qu’une fan pour t’aider à la retrouver ? – Effectivement. – On y est. – Tu viens avec ? – Sans façon. Je lui ai envoyé un message. Elle t’attend en haut. – Ton ex ! – Hein ? – C’est ton ex ! J’aurais dû y penser avant. – Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ? – Avoue. – Je n’avoue rien du tout. Vas-y, elle t’attend. – Oui, ça va, j’y vais. Mais ne crois pas que je lâche l’affaire. – Je te connais trop bien pour ça…
*
– Bonsoir. – Niel, je suppose. Installez-vous. Permettez, je termine et je suis à vous. – Faites… – Canapé, fauteuil; comme vous voulez. – Là, ça sera parfait. – Hm. Excusez-moi, j’ai pas encore vraiment eu le temps de manger aujourd’hui. – Mh. Ca serait plutôt à moi de m’excuser. – Oh, non ! Hm. Non. Luke m’a dit que c’était assez urgent. Et puis, je lui en doit une, de toute façon. – De toute façon… – Alors, dites-moi. – Quoi ? – Ce qui vous amène. – Je ne sais plus écrire. – Ennuyeux. – Assez. – Depuis quand ? – Deux jours. Selon Luke, le problème serait psychosomatique. – Et vous en pensez quoi ? – J’en doute. Neurologique, ou mémoriel, à la limite. – Vous avez vu un médecin ? – Oui. Dès les premiers symptômes. – Et ? – Il ne comprend pas. – Luke a peut-être raison. – Peut-être. Je suis assez ouvert d’esprit. Pour preuve, je suis là. – Mais vous n’y croyez pas ? – Non. Pas vraiment. – Dans ce cas, je ne peux rien pour vous. – Comment ça ? – Comme ça. – Mais encore ? – Et bien, si vous êtes persuadé que le problème est ailleurs, je pourrais danser sur ma tête que ça n’y changerait rien. – C’est pourtant votre boulot, aider les gens à trouver la cause de leur problème. – Oui. Effectivement. Mais la plupart d’entre eux admettent qu’ils ont des troubles mentaux. – Je n’ai PAS de troubles mentaux. – Je n’ai rien dit de tel. – Vous l’avez insinué. – Non. Je dis simplement que… Hm. Je suis psy, pas neurologue ou je-ne-sais-quoi. Ce sont les esprits que je soigne. Et puisque le votre se porte bien, selon vous, je ne peux que vous conseiller de changer de médecin. – Quelle idée. – Largement fondée. Si le vôtre est incapable de trouver la cause de votre mal, il serait peut-être judicieux d’en consulter un autre. Voire un neurologue, carrément. – Ne vous moquez pas. – Je n’oserais pas. – Mh. – Sérieusement. Comment voulez-vous que je vous aide si vous refusez d’envisager la cause psychique ? – Je ne refuse pas, je doute. Nuance. – Le doute. Hm. Revenez me voir quand il aura disparu. – Vous me mettez dehors, en fait. – J’admire votre travail mais, voyez, il est pratiquement vingt heure et je déteste perdre mon temps. – … – Donnez moi votre portable. – Hein ? – Votre portable… – Pourquoi faire ? – Encoder mon numéro. – … – Merci. Je vous le met en raccourci, le un. Hm. La première touche en haut à gauche. Vous n’aurez qu’à m’appeler pour prendre rendez-vous. – Pourquoi ne pas en fixer un tout de suite ? – Prenez le temps de réfléchir. Un jour ou deux. – Et je fais quoi, moi, d’ici là ? Je ne suis même plus capable de signer un bête papier ! – Vous n’espériez quand-même pas que je fasse disparaitre votre problème en une séance improvisée ? Je vous l’ai dit, je suis psy, pas magicienne. – Ca promet… – Je n’ai rien demandé, moi. Rentrez chez vous et n’appelez que lorsque vous serez prêt à vous remettre en question.
*
– T’étais où ? – Chez le psy. – C’est tout ce que t’as trouvé ? – C’est la vérité. – Toi ? Chez le psy ? Laisse-moi rire ! – Appelle Luke, si tu ne me crois pas. – Pourquoi tu le mêles à ça ? – Parce que c’est de sa faute…. On est allé boire un verre. J’avais besoin de lui parler d’un problème. Il m’a refourgué à l’une de ses collègue ; totalement incompétente, soit dit en passant. – Un problème ? Quel problème ? Pourquoi tu ne m’en as pas parlé à moi d’abord ? – Tu as vu la crise que tu me fais pour un petit retard ? – Petit ?! Il est 22h… – Déjà ? – Oui. – Merde. – T’es incroyable ! Ca t’aurais tué d’envoyer un message ? Ou de passer un coup de fil ? – J’aurais bien voulu… – Ah. Et c’est quoi ton excuse ? – J’sais plus écrire. Lire non plus… – Comment ça ? – Pourquoi tout le monde dit ça ? Je ne sais plus écrire. C’est clair, quand-même. – N’importe quoi. – Je savais que tu ne me croirais pas. – Evidemment. Dans le genre excuse bidon… – Puisque je te dis que c’est la vérité ! – Tu me fatigues. – JE te fatigues ? JE ?! Sérieux ? Ca fait dix minutes que j’essaye de te faire comprendre mon problème et c’est moi qui TE fatigue ?! – … – Reviens ! Sarah ! On n’a pas fini de discuter. – J’ai terminé. Si t’as tant besoin de parler, retourne voir ta psy. – Sarah ! Putain ! Tu pourrais t’inquiéter, au moins un tout petit peu ! – J’en ai marre de m’inquiéter pour toi. Y a toujours quelque chose qui va pas ! T’as tellement le nez dans ta merde que tu t’aies même pas demandé pourquoi je t’en voulais. – Parce que je suis en retard, non ? – En retard pour quoi ? .- .. – Tu vois. – Ce n’est pas de ma faute, j’ai des soucis de mémoire… – Arrêtes, tu t’enfonces. – Mais… – Au revoir, Niel. – Sarah ?!
*
– Ouhf ! La tête ! – Qu’est-ce que tu fais là ? – J’ai vu Sarah. – Quand ? – Peu importe. – Mh. Je te proposerais bien un siège mais elle a tout embarqué. – Je vois… Et toi, ça va ? – Tu veux vraiment que je te réponde ? – Il s’est passé quoi ? – Une connerie. Elle a piqué une crise parce que j’étais en retard je ne sais même pas pour quoi. – Tu lui as demandé ? – Oui. Apparemment trop tard. Elle n’a pas daigné m’expliquer. – … – Quoi ? – Sa promotion, le resto… Tu te rappelles ? – Ah, ça ! Oui. Oh. Tu ne crois pas que j’ai des préoccupations plus importantes, comme ce problème d’écriture dont tout le monde se moque royalement ? – Tu es incorrigible. – Tu es là pour m’aider ou pour m’enfoncer ? – T’aider. – Ah… – Pas te caresser dans le sens du poil. Tu es retourné voir Apolline ? – Non. – Pourquoi ? – Je ne sais pas. – Comment ça ? – Je ne connais pas son adresse ; je serais bien incapable de la trouver, de toute manière. Et puis, je ne sais pas l’appeler non plus, j’ai perdu le un. – Perdu le un ? – Oui. Sur le clavier… Elle a encodé sur numéro dans mon portable, avec un raccourcis qu’évidemment, je ne parviens plus à trouver. – Ca s’arrange pas. – Qu’est-ce qui t’as fait penser le contraire ? J’ai vraiment l’air de m’arranger ? – Non. – … – Tu veux que je l’appelle ? – Non merci. Elle ne peut pas m’aider, de toute façon. – Si tu pars perdant… – C’est elle qui l’a dit. – … – Tu l’as vue quand ? – Qui ? – Sarah. – Pourquoi tu reviens avec ça ? – Pour savoir le temps que tu as mis avant de te décider à venir. – Aucune importance. – Luke ? – Ecoute, il faut que je retourne au cabinet. J’appellerai Apolline dans la journée, qu’elle passe te voir. Tu peux pas rester comme ça. – Ne change pas de sujet. Quand ?! – Je dois vraiment y aller.
*
– Je vous préviens. Si vous n’ouvrez pas rapidement cette porte, je fais pipi sur votre paillasson. – Vous êtes immonde. – Non. Juste extrêmement pressée. – Première porte à gauche. – Trop aimable.
– Vous avez été cambriolé ? – Non. Ma petite-amie – mon ex – est partie avec le mobilier. – Oh. – Un café ? – Avec plaisir. Luke m’a dit que votre problème d’écriture était loin de s’arranger. – Effectivement…. S’il-vous-plaît. – Merci. Vous auriez dû m’appeler. – Pour quoi faire ? – Discuter. – De quoi ? – Hm. Je ne sais pas. Tout. Rien. Ce que vous voulez. Rester seul à ressasser n’a jamais rien réglé. – Je n’ai peut-être plus envie que mon problème se règle. – Pourtant, l’autre jour… – C’était l’autre jour. – Ca vous dit d’aller faire un tour ? – Mh. Pas vraiment. – Allez ! Juste un tout petit. On pourrait aller boire un café. – Vous en avez un entre les mains. – Vous n’êtes pas très marrant. – Je suis auteur, pas humoriste. – Ca, c’est évident. – Qu’est-ce que vous voulez ? – Vous aider. – Pourquoi ? Parce que Luke vous l’a demandé ? – Oui. Entre autre. – Pour quoi d’autre ? – Je vous l’ai dit, j’adore vos écrits. Je trouverais dommage que vous ne publiez plus rien du jour au lendemain. – Admettons. D’où vous le connaissez ? – De la Faculté. Et puis, il y a deux ans, il m’a aidé avec un patient… – Et vous lui renvoyez l’ascenseur. – Voilà. – Considérez que vous êtes quitte. – Vous n’essayez quand-même pas de me mettre à la porte. – Si. – Ok. J’accepte de m’en aller à une seule condition. – Laquelle ? – Je passe vous prendre à 19h, douché, rasé et habillé. – Pour ? – Vous verrez. – Et si je refuse ? – … – 19h. Très bien. – A ce soir.
*
– Alors, ça vous a plu ? – Pas vraiment… – Quel menteur ! Vous avez rit du début à la fin. – Mh. Peut-être bien. – Donc, vous avez apprécié ? – Comment avez-vous su ? C’est Luke qui vous l’a dit ? – Luke ?! Non ! J’ai lu pas mal de vos biographies. – Une fan, une vraie. – Vous comprenez maintenant pourquoi je veux tant vous aider ? – Pas vraiment… – Vous n’admirez personne, dans la vie ? – Non. Je n’ai encore trouvé personne d’admirable. -Personne ? – Pas à mon sens. Pas au point de m’incruster dans son existence, en tous cas. – Je ne m’incruste pas mais, puisque vous refusez d’être mon patient, rien ne nous empêche de nous voir autrement. – Autrement ? – Oui. Quoi ? – Rien… – Voilà. C’est là. Vous voulez monter ? – … – Prendre un café où un thé. Qu’est-ce que vous allez imaginer ?!
*
– Ah ! ‘es là. – Mh? Oui. – J’ai cru que tu étais parti… – Craint, surtout. Mais non. Tu vois. – Je vois. – Tu ne m’embrasses pas ? – Hm. Je devrais ? – Tu pourrais… – Et si je refuse ? – Tu ferais ça? Après les trois jours qu’on vient de passer ? – Tu m’as lâchement abandonnée, quand-même. – Abandonnée ? – Oui. Seule, dans mon grand lit… – Pauvre chérie ! – C’est pas drôle. – Si. – Non. – Un peu. – Peut-être. – Alors, tu m’embrasses ? – Si tu me dis ce que tu fais. – J’écris.
FIN
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